mercredi 17 août 2022

Better Call Saul : clap de fin pour un diptyque incontournable

 

Better Call Saul, c’est fini ! Le dernier épisode de la 6e et dernière saison vient de sortir sur Netflix et clôt avec brio cette série spin-off et prequel du cultissime Breaking Bad. La saison finale permet de découvrir la fin de la mue de Jimmy McGill en Saul Goodman, et comment se termine l’histoire de Gene Takavic, la nouvelle identité de Jimmy en fuite. On y croise bon nombre de personnages de Breaking Bad, certains (Mike, Gustavo Fring…) pour des rôles importants, d’autres pour des apparitions courtes mais significatives (jusque dans l’épisode final), et c’est le cas de Walter White et Jessie Pinkman dans les derniers épisodes. L’univers de la série s’enrichit aussi de nouveaux personnages (Kim Wexler, Nacho Varga, Lalo Salamanca…), essentiels pour comprendre le futur Saul Goodman. 

Une série spin-off risque toujours de souffrir de la comparaison avec la série originale. Et comme Breaking Bad est sans doute une des meilleures séries de l’histoire des séries, le risque était grand pour Better Call Saul. Mais Vince Gilligan et Peter Gould, les créateurs de la série, réussissent l’exploit de faire un spin-off (presque) aussi bon que la série d’origine (pour moi, Breaking Bad reste insurpassable…), à tel point que les deux deviennent indissociables et devraient plutôt être considérées comme un diptyque incontournable. 

Il y a une proximité évidente entre les deux séries. Un storytelling toujours aussi maîtrisé, des personnages hauts en couleur et un ton si particulier, avec un mélange détonnant de cynisme, d’humour noir, de franche comédie qui bascule parfois dans le drame. Breaking Bad / Better Call Saul est en réalité un conte moral qui explore les parts sombres du cœur humain, tout en cherchant à comprendre les aspirations profondes et les mécanismes qui peuvent pousser des gens ordinaires à devenir des monstres ou des crapules. On retrouve dans les deux séries des thèmes similaires comme le besoin de revanche et le sentiment d’injustice qui se transforment petit à petit en spirale de la vengeance, ou le pouvoir corrupteur, dans tous les sens du terme, de l’argent, et dans les deux cas, aussi, des histoires de famille compliquées… et une histoire d’amour. Les deux séries parviennent à raconter la vie et l’évolution de ses anti-héros en gardant de l’empathie pour eux, alors même qu’ils deviennent des personnages que l’on devrait détester. C’est ce jeu d’ombre et de lumière qui fait toute la saveur du diptyque.

Le casting est excellent, avec un Bob Odenkirk toujours aussi savoureux, qui devient même assez bouleversant dans le final doux-amer - et réussi ! - de la série. Better Call Saul est donc une réussite totale, dans le parfait prolongement de Breaking Bad.

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Better Call Saul, une série créée par Vince Gilligan et Peter Gould
6 saisons (63 épisodes) disponibles sur Netflix


samedi 13 août 2022

For All Mankind (saison 3) : une uchronie brillante qui nous emmène vers les étoiles

La saison 3 de l’une de mes séries préférées vient juste de se terminer sur Apple TV+, de façon intense et grandiose. N’y allons pas par quatre chemins : For All Mankind est sans conteste une des toutes meilleures séries en cours (une saison 4 est heureusement déjà commandée), et même une des toutes meilleures séries tout court depuis les années 2000. Dans son genre, on n’est pas loin du chef d’oeuvre ! 

Mais la série n’est certainement pas connue comme elle le mériterait ! Alors il n’est sans doute pas inutile de redire en quelques mots de quoi il s’agit. Le premier épisode de la saison 1 s’ouvrait en 1969 sur les premiers pas de l’homme sur la Lune… avec toutefois un changement de taille : ce ne sont pas les Américains mais les Russes qui ont été les premiers sur la Lune ! A partir de ce point de départ, la série développe une uchronie passionnante qui va changer beaucoup de choses par rapport à l’histoire que nous connaissons. Ainsi, la Guerre Froide entre les USA et l’URSS se déroulera aussi sur la Lune où Américains et Russes doivent cohabiter. La série va développer aussi tout un fil narratif féministe dont le déclencheur sera la deuxième mission soviétique sur la Lune, avec une cosmonaute, ce qui nécessitera une réponse de la part des Américains et qui déclenchera un effet domino qui accélérera certaines évoolutions dans la société. Quant à la saison 3, qui se déroule dans les années 90, elle va voir la course entre les USA et l’URSS (eh oui, l’URSS existe toujours bel et bien dans les années 90 dans For All Mankind !) se poursuivre jusque vers Mars… avec un troisième acteur qui rejoint la course, une entreprise privée à la tête de laquelle se trouve un petit génie richissime. 

On le comprend, ce qui fait toute la saveur de la série, c’est non seulement la qualité de sa production, sa réalisation impeccable, son excellent casting, mais c’est surtout l’intelligence du scénario qui rend la série toujours aussi passionnante. Ainsi, la série ne souffre d'aucune baisse de tension ou d'une perte d’intérêt après trois saisons, bien au contraire ! Elle parvient, avec maestria, à développer à la fois les enjeux scientifiques, géopolitiques et sociétaux à grande échelle et les enjeux dramatiques personnels et intimes de ses différents personnages. 

A cet égard, on sait après les deux premières saisons que les auteurs de la série n'hésitent pas à faire mourir certains de leurs personnages. La conquête spatiale est éminemment dangereuse et il serait hautement improbable que tous les personnages d’une série comme For All Mankind s’en sortent sains et saufs. Cette saison 3 ne déroge pas à la règle… aucun personnage, aussi important soit-il, n’est à l’abri, dans l’espace ou ailleurs ! Mais je n’en dirai pas plus...

Du point de vue des enjeux à grande échelle, on n’est pas au bout de nos surprises avec cette saison 3. Le scénario nous réserve toujours des propositions audacieuses mais bien réfléchies. Pour que l’uchronie fonctionne, il faut que les changements proposés soient plausibles, y compris d’un point de vue scientifique. La série ne bascule jamais dans le Space Opera : elle veut résolument se situer du côté de la Hard Science. A noter d’ailleurs qu’il ne faut pas manquer le petit bonus post-générique à la fin du dernier épisode : "The science behind For All Mankind", qui montre à quel point la série veut vraiment s’attacher à une rigueur scientifique, pour qu’elle soit le plus réaliste possible. A voir aussi, avant de regarder la saison 3, les petites pastilles très bien faites, qui évoquent l’histoire alternative de la série, avec de vraies-fausses images d’archives et de journaux télévisés des années 80, pour faire le lien entre les saisons 2 et 3. Tout est réfléchi, bien construit et se veut aussi plausible que possible. C’est vraiment passionnant !

Ceci dit, j’ai quand même un gros problème avec For All Mankind : il va falloir que j’attende une année pour connaître la suite, qui va visiblement se dérouler dans les années 2000 si l’on en croit la dernière scène de l’épisode final, avec son habituel cliffhanger… L’attente va être longue ! 

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For All Mankind, une série créée par Ronald D. Moore, Ben Nedivi, Matt Wolpert
3 saisonsde 10 épisodes, disponibles sur Apple TV+


mardi 9 août 2022

The Sandman : dans le monde des rêves

 

En 1916, le Seigneur des rêves est emprisonné par un homme qui se fait appeler le mage. Durant sa captivité, on lui vole ses outils : son casque, son rubis et sa pochette de sable. Plus d’un siècle plus tard, il parvient à se libérer. Il commence alors un périple à travers les mondes, pour retrouver ses outils et récupérer son pouvoir, et pour réparer les dégâts liés à son absence, dans son royaume et dans le monde éveillé.


The Sandman est l’adaptation en série, attendue depuis longtemps par les fans, des romans graphiques éponymes écrits par Neil Gaiman. Je précise que je ne les connais pas et que je ne sais donc pas dans quelle mesure la série est fidèle (il semble que ce soit le cas, avec quelques changements de genre chez certains personnages) et parvient à retranscrire l’univers et l’ambiance de la BD. Mais je connais bien les romans de Neil Gaiman et j’ai bien retrouvé dans la série l’univers fantastique propre à l’auteur, qui plonge ses racines dans les croyances et les mythologies, avec lesquelles il aime jouer. Nul doute que tout le monde n’entrera pas dans cet univers… moi, je l’ai trouvé assez fascinant, transcrit de manière convaincante, notamment visuellement, malgré quelques imperfections de la série. 


L’univers de The Sandman est sombre, gothique et onirique, mais pas sans espoir, avec des personnages complexes et un monde vaste. Le personnage principal a plusieurs noms, Morpheus, Sandman ou tout simplement Rêve. Il appartient aux Eternels (Endless en vo), des représentations anthropomorphiques d’idées ou de concepts, reflets de l’âme humaine. Ils sont au nombre de sept (certains n’apparaissent que très peu voire pas du tout dans la série) dont le nom commence toujours par un D en anglais : Dream (Rêve), Death (Mort), Desire (Désir), Despair (Désespoir), Destiny (Destin), Delirium (Délire) et Destruction (Destruction). 


The Sandman est un conte philosophique, qui joue sur les différents sens du mot rêve, explorant les interactions entre le “monde éveillé” et le “monde des rêves” pour sonder l’âme humaine et évoquer des questions existentielles autour de la vie et la mort, le deuil, l’espoir, la foi et les croyances… Nos rêves sont-ils des mensonges ou des espoirs ? Nos mensonges ne sont-ils pas souvent des rêves que nous dissimulons ? Est-ce que ce ne sont pas nos rêves qui font de nous des humains ? 


Les épisodes sont bien liés entre eux mais pratiquement chacun a sa cohésion propre et ne se termine pas forcément par l’habituel cliffhanger qui crée l’attente de l’épisode suivant (même s’il y en a quand même un ou deux). La série se construit plutôt comme un tableau d’ensemble qui se dessine par touches successives, ou qui s’esquisse à peine parfois, un kaléidoscope onirique qui tient souvent plus du cauchemar que du rêve paisible.  


Les meilleurs épisodes sont, selon moi, les épisodes 4, 5 et 6. Dans l’épisode 4, Rêve doit aller en enfer pour récupérer un de ses objets dérobés et pour cela il devra affronter en duel… Lucifer. Dans l’épisode 5, sans doute le plus cynique de la série (avec l’épisode 9 et sa convention soi-disant sur les céréales), John Dee va tester sur les clients d’un bar où il s’est installé, avec l’aide du rubis de Rêve, si le monde ne serait pas meilleur avec des humains parfaitement honnêtes les uns envers les autres. Et dans l’épisode 6, Rêve accompagne sa soeur, Mort, qui lui conseille de renouer contact avec une vieille connaissance qui refuse de mourir. 


Dans l’ensemble, la première moitié de la saison, jusqu’à l’épisode 6, est vraiment très bien. On y trouve les épisodes les plus sombres, les plus denses et les plus profonds. La deuxième partie perd un peu en intensité, avant un final qui ouvre quand même l’appétit pour une saison 2… si Netflix commande une suite, évidemment. Et on peut l’espérer car The Sandman, malgré ses imperfections, est une mini-série originale avec un univers singulier et riche, que la saison 1 n’a pu qu’effleurer.


(19 août 2022) : Netflix a mis récemment en ligne un épisode bonus, en deux volets : "un rêve de mille chats" et "Calliope". Le premier est un malicieux film d'animation de 15 minutes environ avec des chats qui rêvent d'un autre monde, le second est une histoire autonome qui s'inscrit dans l'univers de la série, autour d'un écrivain en mal d'inspiration (un deuxième volet qui apporte au passage une révélation sur le passé de Morpheus...).

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The Sandman, une série créée par Neil Gaiman et Allan Heinberg

1 saison (10 épisodes + 1) disponible sur Netflix






mardi 2 août 2022

Sur ordre de Dieu : meurtre chez les Mormons

 

Au mois de juillet 1984, on découvre avec horreur, dans une petite ville de l’Utah, le meurtre sanglant de Brenda Wright Lafferty et de son bébé âgé de 15 mois seulement. Les Lafferty sont une famille influente de la communauté mormone, très largement majoritaire dans la région. Le mari de Brenda, Allen, retrouvé couvert de sang, est d’abord suspecté du meurtre. Mais les enquêteurs vont vite se rendre compte qu’il faut aller plus loin pour résoudre l’affaire. 

Inspiré d’une terrible histoire vraie, Sur ordre de Dieu (Under the Banner of Heaven en vo) est une mini-série policière captivante… et assez terrifiante. L'épisode final, qui dure 90 minutes, est particulièrement haletant et certaines scènes demandent d'avoir le coeur bien accroché. La série se base sur le livre éponyme de John Krakauer mais elle prend des libertés avec les faits : c’est une fiction inspirée d’un fait réel, pas un documentaire. Ainsi, les deux inspecteurs qui mènent l’enquête sont des personnages fictifs. L’un est lui-même Mormon, l’autre est natif américain. Ce choix scénaristique n’est pas dû au hasard : il sera l’occasion de souligner les racines très américaines, y compris dans ses zones d’ombre, du mormonisme. Les deux enquêteurs sont au coeur du récit qui se construit autour de trois fils narratifs : celui de la famille Lafferty, dont les frères vont petit à petit tomber dans une forme d’intégrisme effrayant ; celui de Jeb, le flic mormon, simple croyant, bon père de famille, qui va voir sa foi être ébranlée par les révélations auxquelles il va être confronté ; et celui des origines de l’Eglise mormone, avec son fondateur Joseph Smith, entre histoire, légende et mensonges. C’est, à mon sens, ce troisième fil narratif qui est le moins convaincant, sans doute un peu trop démonstratif dans sa charge contre l'Eglise mormone.  

Il faut mentionner que Dustin Lance Black, le créateur de la série, est lui-même issu d’une famille mormone, une éducation avec laquelle il a pris ses distances aujourd’hui. Mais de ce fait, l’évocation qu’il fait dans la série de la vie quotidienne d’une famille mormone - avec des nuances ; tout le monde n’est pas mis dans le même sac intégriste - sent quand même le vécu. L’organisation hyper-patriarcale, le sexisme omniprésent où les femmes n’ont pas d’autre rôle que celui de servantes soumises à leur mari, les pratiques religieuses strictes et parfois surprenantes, avec un langage parfois obscure et souvent sectaire... C’est étonnant et parfois assez glaçant. Tout comme l’évocation globale de “l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours” où, pour préserver la réputation de l'organisation, on cherche à imposer une loi du silence et étouffer les affaires en les réglant de façon interne. 

Mais ce qui fait le plus froid dans le dos, c’est le récit autour des frères Lafferty et sa spirale vers l’intégrisme et la folie meurtrière, qui s’inscrit ici dans le cadre du mormonisme mais qui dit quelque chose de toutes les trajectoires vers les intégrismes, cercles vicieux qui entraînent ceux qui s'y laissent prendre vers l’aveuglement et la folie, jusqu’à l’irréparable. 

Le casting est excellent. Dans le rôle principal, celui de Jeb, le flic Mormon, Andrew Garfield est très juste et touchant. Le duo qu’il forme avec Gil Birmingham fonctionne très bien. Et dans les rôles de Ron et Dan Lafferty, Sam Worthington et Wyatt Russell sont particulièrement inquiétants… 

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Sur ordre de Dieu, une mini-série créée par Dustin Lance Black
7 épisodes d'une heure environ, disponibles sur Disney+