mercredi 30 septembre 2015

Reproduction interdite : un roman passionnant... et inquiétant

Deux affaires apparemment sans lien entre elles atterrissent sur le bureau du juge Rettinger. L'une concerne la mort du professeur Ballin, célèbre pour avoir été le premier à réaliser un clonage humain. Son corps a été retrouvé dans une chambre d'hôtel. L'autre concerne la mort de onze détenus dans l'incendie d'une prison. Au fil de l'enquête, ces deux affaires se révéleront liées, et dévoileront des implications bien plus importantes (c'est un euphémisme !) que ne pouvaient le laisser penser ces deux faits divers.

Nous sommes au milieu du XXIe siècle, le clonage est devenu une industrie florissante, en particulier le clonage humain. Élevés dans des centres de production en masse, les clones constituent de précieuses banques d'organes. Le nec plus ultra étant pour les plus fortunés d'avoir leur propre clone, à disposition pour offrir des greffes d'organe en cas de besoin. Les clones sont également produits en masse pour devenir de la main d'oeuvre qualifiée pour l'industrie ou l'armée. Sélectionnés et modifiés génétiquement, ils sont infiniment plus efficaces que des robots.

Ecrit en 1989, et révisé pour la réédition en livre de poche en 2015, Reproduction interdite est un roman d'anticipation passionnant. Une dystopie (ou contre-utopie) inquiétante mettant en garde contre les dérives possibles de la science, notamment en matière de génie génétique. L'histoire nous est présentée sous la forme d'un dossier top-secret, dont les différentes pièces sont classées de manière chronologique : transcriptions d'écoutes téléphoniques, courriers, notes de service, articles de journaux...

L'auteur, Jean-Michel Truong, va très loin dans l'évocation d'une société où les clones ne sont pas considérés comme humains mais guère plus que des animaux, ou même de simples objets. Va-t-il trop loin ? Ou le monde qu'il décrit est-il un avenir possible ? Certains documents qu'il intègre au dossier sont véritablement glaçants. Ainsi, par exemple, cet article décrivant la visite du plus grand centre de production de clones, son laboratoire d'embryologie, sa nurserie automatisée, ses unités de stabulation (comme du bétail, on parle de cheptels de clones) et de cryogénisation (pour garder les organes au frais)...

Il se dégage de cet ouvrage une vision pessimiste de l'humanité, capable du pire dans le seul but d'accroître son pouvoir, où les enjeux économiques sont bien au-dessus de toute considération éthique. La lecture de l'ouvrage crée un malaise certain et interroge sur les limites de la science et des progrès technologiques. On y découvre un monde où l'opinion publique est manipulée, où tous les pouvoirs, y compris l'Eglise, s'accommodent d'une vision utilitariste, où les maigres résistances ne sont pas toujours portées par de nobles motivations.

Au-delà de l'enquête, certes intéressante et bien menée, c'est l'évocation de ce monde dénué de tout sens éthique qui passionne dans ce roman. L'ouvrage se veut clairement un cri d'alerte qu'il paraît légitime d'entendre !

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Reproduction interdite, un roman de Jean-Michel Truong (Folio SF n° 516)

lundi 28 septembre 2015

Le prodige : paranoïa sur un échiquier


Le film raconte l'histoire de Bobby Fischer, prodige américain des échecs. Au coeur de la guerre froide, son irrésistible ascension et surtout ses victoires contre les champions soviétiques, réputés imbattables, prennent valeur de symbole. Jusqu'au "match du siècle" contre le champion du monde Boris Spassky.

Bobby Fischer est à la fois un personnage fascinant et inquiétant. Génie des échecs, il souffrait aussi de sérieux troubles paranoïaques. Absolument incontrôlable, il s'est petit à petit enfermé dans des discours antisémites délirants (lui-même étant Juif). L'incroyable exposition médiatique qu'il subit ne pouvait qu'accentuer ses troubles psychologiques. Il y a une réplique intéressante dans le film, en réponse à quelqu'un commentant l'attitude fantasque du champion pendant le "match du siècle", disant qu'il avait peur de ce qui pouvait arriver s'il perdait, Boris Spassky répond : "Non, il a peur de ce qui peut arriver s'il gagne !"

Et de fait, après sa victoire, Bobby Fischer s'enfoncera plus profondément dans sa paranoïa. La fin du film l'évoque rapidement : il sombrera dans la déchéance avant de s'exiler en Islande où il tiendra jusqu'à sa mort des discours antisémites et anti-américains.

La réalisation d'Edward Zwick est certes assez classique mais il parvient à évoquer de façon convaincante la projection sur un simple jeu de toute la tension de la guerre froide, avec son apogée au cours de son affrontement contre Boris Spassky.

Il faut aussi noter l'excellente prestation de Tobey Maguire, bien entouré par un Liev Schreiber qu'on croirait russe et un très bon Michael Stuhlbarg dans le rôle de Paul Marshall, avocat qui a pris en main le destin de champion de Bobby Fischer. Belle partition musicale aussi de James Newton Howard.

Le prodige est un très bon film sur un personnage fascinant et inquiétant, reflet de la folle paranoïa qui présidait au temps de la guerre froide.

jeudi 17 septembre 2015

1969 : un jeu pour décrocher la lune

Dans la série En-voilà-un-bon-jeu-qui-mériterait-d'être-plus-connu, voici 1969 ! Un jeu de conquête spatiale pour tenter de décrocher la lune. J'aime ce thème !

Si l'illustration de la boîte de jeu est un peu trop naïve à mon goût, le matériel dans la boîte est au contraire de bonne facture : un plateau de jeu commun, avec les informations essentielles, avec des illustration qui nous plongent fort bien dans les années 60. Chaque joueur a deux plateaux individuels (un peu fins...) représentant le développement technologique de leur programme spatial. Enfin, chacun a une petite fusée avec le drapeau de la nation qu'il incarne (USA, URSS, France, Allemagne ou Canada) à utiliser pour les différentes missions.

Les mécanismes sont plutôt classiques. Rien de révolutionnaire mais ça tourne vraiment bien. Il s'agit principalement d'engager des scientifiques pour développer notre programme spatial et tenter différentes missions, de plus en plus compliquées, jusqu'à essayer d'atteindre la lune et revenir sur terre. Si le résultat de la mission se décide avec un lancer de dé, le résultat peut être largement modifié par les développements technologiques et par l'espionnage.

Car c'est une des dimensions intéressantes du jeu : l'interactivité passe certes par la course à la lune et la lutte sur les différentes missions mais aussi par un système d'espionnage, soit en engageant des scientifiques espions qui vont voler des technologies et s'infiltrer dans le programme spatial des nations concurrentes, soit en mettant des bâtons dans les roues au moment des tentatives de missions. On a donc la possibilité de faire quelques coups tordus bienvenus !

La durée d'une partie dépend du nombre de joueurs. Moins d'une heure à 2 joueurs, et probablement 2 heures à 4 ou 5. La part de hasard dans les lancés de dés et la pioche des cartes espionnage ne dépareillent pas avec le thème et peut être largement contrebalancée par la tactique. Les sensations au cours de la partie sont très sympathiques : réflexion dans le développement du programme spatial, plaisir de l'espionnage, tension au moment de tenter les missions...

1969 est vraiment un bon jeu, qui mériterait d'être plus connu. Il semble que le jeu soit aujourd'hui épuisé mais il doit être possible de trouver encore quelques boîtes, notamment chez le distributeur en France (www.iello.com) Ceci dit, moi j'en ai une boîte à la maison, si vous voulez faire une petite partie...

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1969 est un jeu de Andrea Crespi, Lorenzo Silva, Lorenzo Tucci Sorrentino et Aureliano Buonfino. Illustrations de Giulia Ghigini. Edité par Cranio Creations.

lundi 14 septembre 2015

Life : un biopic intime et humain d'une icône du cinéma

Life, c'est l'histoire de la rencontre entre James Dean et Dennis Stock, jeune photographe qui va immortaliser l'acteur par un célèbre reportage photo paru dans Life magazine.

Biopic intime, le film présente un James Dean humain, au-delà de l'icône de Hollywood qu'il est devenu. Dane DeHaan, dans le rôle de James Dean, est étonnant. Je ne sais pas si sa composition est fidèle au James Dean historique mais il en fait un personnage attachant. Rebelle, certes, mais aussi fragile, un peu perdu dans le star-system et face aux producteurs tout-puissants de Hollywood, il a besoin de retrouver ses racines (il a été élevé dans une ferme de l'Indiana).

Robert Pattinson est aussi excellent dans le rôle de Dennis Stock, ce jeune photographe ambitieux qui a su voir chez le jeune acteur la star qu'il allait devenir, sans imaginer bien-sûr qu'il allait accéder au statut d'icône avec son destin brisé, quelques mois à peine après son reportage photo.

L'évolution du rapport entre les deux personnages est au coeur du film. Au début, il est marqué par une certaine ambiguïté où se mêlent chez le photographe la fascination et le calcul de carrière. Quant à l'acteur, il commence par prendre de haut le photographe. James Dean semblait avoir un rapport ambivalent à la célébrité (fait à la fois de peur et d'attrait) mais il finit par voir l'intérêt d'une exposition médiatique dans Life magazine. Ceci dit, une relation authentique semble finalement se tisser entre les deux hommes, notamment à cause de leurs fêlures respectives.

J'ai beaucoup aimé la réalisation d'Anton Corbijn, en particulier dans sa façon de reconstituer les fameuses prises de vue, certaines spontanées, d'autres mises en scène. Ces photographies légendaires prennent vie devant nos yeux et c'est tout à fait passionnant.

A noter enfin la très bonne musique du film, aux accents très jazzy, signée Owen Pallett.

Life, très bien joué et finement réalisé, se révèle donc un excellent film, qui nous fait (re)découvrir la réalité humaine d'une icône de l'histoire du cinéma.