lundi 29 septembre 2014

Saint-Laurent : Portrait passionnant d'un génie fragile et tourmenté

La première bonne idée de Bertrand Bonello, c'est de ne pas avoir fait de son film un simple biopic mais de proposer une vision personnelle, centrée sur 10 ans de la vie de Saint-Laurent, entre 1967 et 1977, avec pour apothéose le défilé de juillet 1976 et la collection opéra-ballet russes. C'est forcément partiel, et partial, mais tellement plus intéressant que le biopic "officiel" et assez insipide de Jalil Lespert sorti en début d'année !

Si les acteurs sont tous très bons (y compris Gaspard Uliel en Yves Saint-Laurent), c'est la réalisation de Bertrand Bonello qui emporte l'adhésion. Il propose un récit elliptique, parfois destructuré, qui peut décontenancer, mais qui nous plonge de façon passionnante dans l'univers d'un génie fragile et tourmenté, à la limite de la folie. C'est l'univers de la haute-couture, ses processus créatifs, le travail de toutes les petites mains, les enjeux financiers (la scène au début du film où l'on voit Yves Saint-Laurent au travail dans son studio de couture est très réussie). C'est aussi l'univers de la nuit, sulfureux et marqué par l'alcool, la défonce, le sexe. Un univers souvent évoqué de manière assez crue dans le film : des scènes à ne pas mettre devant les yeux de tout le monde... C'est aussi l'univers intime d'un homme seul, obsessionnel (son bouddha et sa collection de camées, le chien Moujik), souvent morbide. Un écorché vif. 

Bertrand Bonello assume sa vision personnelle. C'est ce qui fait sans doute la force de son film. Dans une scène, Yves Saint-Laurent passe devant le véritable portrait fait par Andy Warhol. La ressemblance entre l'acteur et le personnage historique devient moins évidente et le réalisateur ne le cache pas. Dans le film, Jacques de Bascher dit alors (je cite de mémoire) : "c'est vraiment toi" et ce dernier lui répond : "Non, c'est Yves Saint-Laurent selon Andy Warhol". Saint-Laurent, c'est Yves Saint-Laurent selon Bonello. Et j'ai aimé.

lundi 15 septembre 2014

Abyss : aussi bon que beau !

Abyss, c'est d'abord un beau jeu. L'éditeur a mis le paquet sur le packaging ! Les illustrations de Xavier Collette sont superbes, dès la boîte de jeu, disponible en 5 versions différentes (!) : juste un gros plan sur le visage d'une créature des profondeurs. Le dessin seul, le titre du jeu n'étant présent que sur la tranche de la boîte. Les illustrations des cartes et du plateau de jeu ne sont pas en reste. Vraiment une très jolie réussite.

Alors, Abyss, c'est beau, mais est-ce que c'est bon ? La réponse est oui, sans hésitation ! Dans sa catégorie (familial +), c'est même peut-être un des tout meilleurs. A son tour, un joueur a le choix entre trois actions : explorer les profondeurs (mais les autres joueurs pourront aussi en profiter), demander l'aide du conseil ou recruter un seigneur. Les deux premières actions permettent de récupérer des cartes alliés, qui elles-mêmes permettent de recruter des cartes seigneurs, ces dernières donnant des points de victoire, des pouvoirs spéciaux ou la possibilité de contrôler des lieux stratégiques du monde des profondeurs.

Les mécanismes sont simples, et n'ont certes rien de révolutionnaire, mais sont bien équilibrés : développement, collecte, combinaisons de cartes avec un zeste de "stop ou encore". Il réserve une belle interaction entre les joueurs et les parties sont rapides (une heure environ). Il me semble qu'il y a plutôt une bonne rejouabilité, avec les seigneurs et les lieux dont l'ordre d'apparition change à chaque partie. Certains diront que le thème est artificiel. Il est surtout porté par les illustrations, c'est sûr... mais elles sont tellement réussies que ça suffit à mon bonheur ! Surtout que le jeu lui-même tourne très bien.

Abyss est un vrai coup de coeur... qui pourrait bien figurer en bonne place dans mon palmarès personnel en fin d'année !

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Le site dédié au jeu : Abyss
La bande-annonce que l'éditeur a produite avant la sortie du jeu

lundi 8 septembre 2014

Hippocrate : un film d'utilité publique

Hippocrate a un certain côté documentaire : le réalisateur, Thomas Lilti, est lui-même médecin, ce qui donne évidemment à son film une crédibilité indéniable et permet de découvrir les coulisses d'un hôpital. C'est passionnant. Mais ce n'est pas pour autant un documentaire. On nous raconte vraiment une histoire. Le scénario est centré sur deux personnages : Benjamin, un jeune interne qui fait son premier stage dans le service de son père, et Abdel, un médecin algérien déjà expérimenté mais qui a le statut de FFI (Faisant Fonction d'Interne). 

Le film aborde non seulement les problématiques universelles liées au sujet : la responsabilité des soignants, les risques et les conséquences des erreurs médicales, le rapport à la mort, à la souffrance, la question de l'acharnement thérapeutique... Mais c'est un film actuel qui porte aussi un regard sans concession sur l'hôpital aujourd'hui, avec des directeurs qui ne connaissent rien au médical et qui sont de simples gestionnaires, avec ses impératifs économiques qui ont des conséquences sur les conditions de travail, les réductions d'effectif, la gestion des malades, etc... 

Riche de toutes ces problématiques, le film aurait pu être lourd. Il n'en est rien. Thomas Lilti trouve le bon rythme, mêlant habilement scènes cocasses et moments d'émotion, avec des personnages touchants et attachants. Et au final, même si le regard éclairé du réalisteur ne cache rien des difficultés à être médecin ou infirmière aujourd'hui, on ressent aussi à travers ce long-métrage un amour, une passion de la part de Thomas Lilti pour son métier. D'ailleurs, comme le dit Abdel dans le film, avec un sourire qui en dit long : "Médecin, ce n'est pas un métier. C'est une sorte de malédiction..."

On ressort du film avec espoir malgré tout. Et aussi avec un vrai sentiment de respect pour le personnel soignant. Hippocrate est vraiment un film d'utilité publique. A voir absolument.

lundi 1 septembre 2014

Enemy : un étonnant thriller psychanalytique

Adam est professeur d'histoire. Il mène une vie banale avec sa fiancée. La routine... jusqu'au jour où il découvre son sosie parfait en la personne d'Anthony, un acteur, en visionnant un film en vidéo. Il fait des recherches, l'observe à distance et finit par entrer en contact avec lui.

Adam et Anthony sont d'apparence parfaitement identiques mais leurs vies sont presque opposées. L'un a une situation professionnelle stable mais une vie sentimentale plutôt chaotique. L'autre est un acteur qui visiblement doit se contenter de petits rôles secondaires mais il est marié et sera bientôt papa. Adam est alors hanté par des cauchemards peuplé d'araignées... et la question se pose pour le spectateur : Adam a-t-il vraiment un double parfait ou est-ce le fruit de son imagination ?

Disons-le tout de suite, le film laisse la question ouverte... même s'il y a sans doute suffisamment d'indices pour penser qu'Adam et Anthony sont en réalité les deux faces d'une même personne. Enemy est donc un thriller psychanalytique tout à fait étonnant, avec une intrigue assez complexe qui réserve de nombreuses surprises (la scène finale !). On ressort du film avec plein de questions, et on se dit qu'un second visionnage aiderait à mieux le comprendre. Un petit conseil : une fois que vous aurez vu le film, lisez cet article qui donne une interprétation que je trouve assez convaincante de l'ensemble du film (mais attention : l'article est plein de spoilers !!!).

La réalisation de Denis Villeneuve est remarquable, distillant une ambiance oppressante (portée par l'excellente bande originale) grâce à de troublants jeux de miroirs. Jake Gyllenhaal est très bon dans le rôle principal. Enemy se révèle être un thriller atypique, qui peut dérouter voire laisser sur la touche les spectateurs qui ne sont pas prêts à accepter de ne pas tout comprendre. Mais pour ceux qui oseront se laisser emporter par le film, Enemy sera une expérience cinématographique peu banale.