lundi 27 février 2017

Split : excellent thriller flippant et sarcastique

Kevin a 23 personnalités, chacune a son nom et sa manière de s'habiller. Il est suivi par le Dr Fletcher, sa psychiatre. Mais ses différentes personnalités s'affrontent en lui et il est finalement poussé à kidnapper trois adolescentes. Il les tient prisonnières dans un sous-sol, destinées à nourrir "la bête" en laquelle croient certaines personnalités de Kevin.

Après le déjà très bon The Visit, M. Night Shyamalan confirme son retour inespéré (vu ses précédents films...) avec Split, thriller psychanalytique flippant, film d'épouvante trouble à l'atmosphère oppressante et à l'humour souvent noir et sarcastique. Un film qui bascule dans un genre plus horrifique voire fantastique dans un final surprenant. Sans compter le twist final qui, plus qu'un clin d'oeil, ouvre des perspectives pour d'autres films.

Le réalisateur parvient à entretenir le sentiment d'oppression dans ce huis-clos étouffant, multipliant les gros plans sur les visages, plein cadre, et grâce à un scénario bien ficelé.

Le film doit aussi beaucoup à la performance exceptionnelle de James McAvoy, vraiment inquiétant dans ce rôle polymorphe, caractérisant chaque personnalité de Kevin, par sa voix, l'expression de son visage, passant parfois d'un l'un à l'autre en une fraction de seconde. Vraiment bluffant. Et puis il y a aussi la révélation de la jeune Anya Taylor-Joy, dans le rôle de Casey, une des adolescentes kidnappées. Elle crève littéralement l'écran. Une jeune actrice à suivre.

Split évoque l'impact des blessures refoulées, qui refont surface d'une manière ou d'une autre, de façon destructrice ou résiliente. Il y a dans ce film comme un écho sourd des craintes de notre temps...

Vraiment un très bon film, pour public averti.

mercredi 22 février 2017

Kingdomino : Mon royaume en dominos

Parmi mes acquisitions ludiques récentes, voilà un vrai coup de coeur, une nouvelle réussite de Bruno Cathala : Kindgomino.

Les règles sont très simple. A chaque tour de jeu, les joueurs récupèrent un domino constitué de deux terrains (et éventuellement de couronnes) qu'ils doivent intégrer à leur royaume. Pour pouvoir le poser, le domino doit avoir au moins un des deux terrains identiques à un terrain d'un domino déjà placé. Mais attention, le royaume ne doit pas dépasser la superficie de 5 terrains sur 5. Si le domino ne peut pas être placé dans son royaume, il est défaussé. Une fois que tout le monde a joué 12 dominos, on procède au décompte. Chaque domaine (des cases de même type contiguës) rapporte un nombre de points égal au nombre de cases multipliés par le nombre de couronnes. Le joueur qui a le plus de point remporte la partie.

La jolie trouvaille du jeu, c'est le système de choix des dominos. Les dominos sont numérotés. Plus il est intéressant (notamment en terme de couronnes) plus sa valeur est élevée. Au début de chaque tour, on tire autant de dominos que de joueurs et on les dispose en valeur croissante. En commençant par le joueur placé sur le domino le plus faible au tour précédent, chacun choisit l'un des dominos prévus pour le tour suivant. S'il choisit le domino de la plus faible valeur, il pourra choisir en premier la tuile du tour suivant. Mais s'il choisit le domino de la plus haute valeur, il choisira en dernier au tour suivant. C'est tout bête mais ça fonctionne très bien ! On est vite confronté à des choix cornéliens : jouer la sécurité ou prendre des risques.

Le matériel, très coloré, est joli. On peut même s'amuser à scruter les petits détails qui se cachent sur les illustrations des dominos. Les parties sont très rapides et s'enchaînent facilement. Le tout fonctionne très bien de 2 à 4 joueurs. Bref, un jeu parfait pour initier les non-joueurs, auquel les joueurs avertis prendront aussi beaucoup de plaisir.

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Kingdomino, un jeu de Bruno Cathala, édité par Blue Orange
- Le jeu sur le site de l'auteur

Ici, un joli domaine de montagnes, qui rapporte 45 points !

lundi 20 février 2017

Loving : un beau film sobre pour un amour fort

Mildred et Richard s'aiment et décident de se marier. Mais nous sommes en 1958, il est blanc et elle est noire, et dans l'état de Virginie où ils s'installent, les "mariages interraciaux" sont interdits ! Ils sont donc poursuivis et condamnés à une peine de prison mais leur avocat leur obtient une suspension de sentence... à condition qu'ils quittent l'état, où habite toute leur famille. Aidés par des avocats du mouvement des droits civiques, ils iront jusqu'à la cours suprême, qui cassera la décision de l'état de Virginie. L'arrêt "Loving v. Virginia" symbolise le droit de s'aimer pour tous, sans aucune distinction d'origine.

Le maître mot pour qualifier ce très beau film, c'est la sobriété. Jeff Nichols a déjà la bonne idée de ne pas construire son film autour de la bataille judiciaire. Elle est évoquée, juste ce qu'il faut. Mais il se concentre sur ce couple si touchant, leur amour vécu dans la banalité du quotidien. Un amour vrai et fort. Il filme avec beaucoup de subtilité ce couple humble et authentique, qui ne comprend pas ce qu'ils ont fait de mal en se mariant ! L'émotion est bien là mais sans aucun excès. Jusqu'à la fin du film qui est absolument magnifique : le coup de fil des avocats pour annoncer le résultat de l'appel auprès de la cour suprême, le visage lumineux de Mildred regardant son mari, puis Richard en train de construire leur maison, avec les enfants autour... Magique.

Joel Edgerton est très touchant et juste dans le rôle de cet homme réservé et dévoué à son épouse. Quand à Ruth Negga, elle est lumineuse dans le rôle de Mildred, elle qui comprend mieux que son mari l'importance de l'appel judiciaire et ce qu'il implique au-delà de leur propre couple, tout en restant attaché à celui qu'elle aime et "qui prend soin d'elle". Le couple qu'ils forment est bouleversant.

Loving est vraiment un très beau film dont la sobriété colle parfaitement au sujet qu'il aborde, celui d'un amour simple et fort, malgré le contexte terrible de la ségrégation raciale.

mercredi 8 février 2017

Silence : fresque sobre et sublime sur le doute et la foi

Au XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, dont on n'a plus de nouvelles. Il aurait apostasié... Mais les deux prêtres n'y croient pas. Ils découvriront un pays où le christianisme est illégal et ses fidèles persécutés, obligés de vivre leur foi caché.

Scorsese porte le projet de ce film depuis 30 ans et ça se sent. Le film a une densité impressionnante. Mais on peut ne pas s'en rendre compte (plusieurs spectateurs ont quitté la salle avant la fin du film... quel dommage !). Car pour filmer le doute et la foi, Scorsese a choisi la sobriété. Les 2h40 passent l'air de rien. Les scènes de torture sont, certes, très fortes mais il n'y a aucune surenchère. Les images sont sublimes mais les mouvements de caméra assez peu présents. Ce qui n'empêche pas des moments extraordinaires, notamment à la fin du film. Le ton est contemplatif, introspectif, avec une forte présence d'une voix off. Peu de musique, mais une bande son très subtile (signée Kim Allen Kluge et Kathryn Kluge) où les bruits paisibles de la nature se mêlent aux gémissements des martyrs. Et c'est au moment du générique de fin, quand le film se termine, qu'on réalise qu'on a vécu une expérience cinématographique intense, qui laisse des traces profondes.

Car si Silence est un film sur le doute et la foi, il propose plus de questions que de réponses. Sur la place du doute dans la foi. Sur le silence de Dieu : est-ce contradictoire avec sa présence ? Sur le martyr : faut-il céder à l'inquisition tout en gardant une foi cachée ou faut-il rester fidèle quoi qu'il en coûte ? Sur la transmission de la foi : la foi chrétienne est-elle universelle ou certaines cultures y sont-elles imperméables ?

Pour avoir de bonnes réponses, il faut d'abord poser les bonnes questions. C'est ce que fait Scorsese dans ce chef d'oeuvre sobre et profond. Chacun pourra répondre pour lui-même, dans le silence de son propre cheminement spirituel. Chef d'oeuvre !

lundi 6 février 2017

Jackie : évocation passionnante d'une femme complexe et mystérieuse

Après l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy, sa veuve, Jackie Bouvier Kennedy, tente de surmonter son traumatisme tout en voulant mettre en valeur l'héritage politique de son président de mari. C'est notamment pour cette raison qu'elle accepte une entrevue avec un journaliste. Mais elle tient à contrôler et valider tout ce qui sera publié ou non.

Le film est construit autour de plusieurs lignes narratives : l'entretien avec le journaliste, une confession à un prêtre (un des tout derniers rôles de John Hurt), le tournage d'un reportage TV où Jackie fait faire la visite de la Maison Blanche, et bien-sûr l'assassinat de JFK à Dallas (sa reconstitution, vers la fin du film, est très impressionnante). Ces fils s'entremêlent pour tisser un portrait passionnant d'une femme complexe. Une femme forte et, sous certains aspects, insaisissable. Il y a son obsession de l'image et de l'héritage que doit laisser son mari décédé, la référence omniprésente à Lincoln comme modèle (jusque dans l'organisation des funérailles en grande pompe), la gestion de l'impact médiatique. Elle apparaît à la fois maîtresse et victime de son destin. A cet égard, une réplique fait mouche : "Je ne recherche pas la célébrité, je suis juste devenue une Kennedy !"

Avec son scénario passionnant et sa réalisation brillante (presque expérimentale parfois), le film de Pablo Larrain fait confiance à l'intelligence du spectateur pour associer les pièces du puzzle. On est au plus proche de Jackie Kennedy, presque en immersion. Et pourtant, elle nous échappe, gardant tout son mystère. La performance exceptionnelle de Natalie Portman n'est, évidemment, pas le moindre des atouts du film. Elle impressionnante, intense, habitée. A noter également, la très bonne bande originale de Mical Levi (déjà remarquée pour la BO de Under the Skin), une musique intrigante qui colle fort bien à l'ambiance du film.

Un film remarquable.