lundi 26 septembre 2016

Juste la fin du monde : un cri étouffant, un appel à l'amour

Après douze ans d'absence, Louis retourne dans son village pour revoir sa famille : sa mère, son frère avec qui les relations sont conflictuelles, la femme de son frère qu'il ne connaît pas et sa jeune soeur qu'il connaît à peine. Ils ne savent pas pourquoi il veut les revoir... ils ne savent pas que c'est pour leur annoncer sa mort prochaine. Mais arrivera-t-il seulement à le leur dire ?

Juste la fin du monde est un cri, un drame familial intimiste et étouffant. Un film à fleur de peau qui remue le spectateur... Inspiré d'une pièce de théâtre (qui porte le même titre) écrite par Jean-Luc Lagarce, le film n'est pas pour autant du simple théâtre filmé. Certes, les dialogues ont une place prépondérante. Mais les non-dits aussi, les silences, les regards. Le tout est magnifiquement rendu par le choix du réalisateur de privilégier les gros plans, laissant régulièrement les personnages qui parlent hors-champ, pour se concentrer sur les réactions silencieuses des autres. Un choix qui accentue le caractère intimiste de l'histoire et place le spectateur au plus près des personnages, la sensation d'étouffement est accentuée, les accès de violence, dans les rapports familiaux houleux, sont pris en pleine face.

Car nous sommes devant une famille incapable de communiquer, visiblement plombée par le lourd poids d'un passé qu'on devine seulement, en filigrane. Une famille dont les membres, finalement, ne se connaissent pas parce qu'ils s'évitent ou s'affrontent. Une famille où l'amour, sous-jacent, existe sans doute... mais un amour qui est presque impossible à exprimer. Pourtant, à quelques reprises dans le film, on a l'impression que les choses pourraient basculer, une relation pourrait se (re)nouer... mais c'est comme si cette famille s'interdisait l'amour et la réconciliation, préférant la fuite.

On pourrait presque voir dans cette histoire une anti-parabole du fils prodigue, avec le retour manqué du fils perdu que les siens refusent, ou n'arrivent pas à accueillir.

Grand prix du jury à Cannes, le film avait aussi reçu le prix du jury oecuménique. Et cela avait d'ailleurs étonné bon nombre d'observateurs, à commencer par le réalisateur lui-même qui disait au moment de la remise du prix que c'était tout à fait inattendu ! Il est vrai que ce film sombre et pesant semble évoquer l'impossibilité de l'amour et ne paraît pas bien optimiste sur la famille... Mais on peut aussi le voir comme un cri qui appelle à l'amour et la réconciliation, particulièrement dans le cadre de la famille. Un appel auquel le chrétien ne devrait pas être insensible...

Juste la fin du monde est, à l'image de son réalisateur, à fleur de peau. Si, pour moi, le choc émotionnel a été moins grand que pour Mommy, son précédent film, ça n'en est pas moins un film d'une grande force, interprété par cinq acteurs formidables et mis en scène avec une maestria confondante pour un réalisateur qui n'a, rappelons-le, que 27 ans !

mercredi 14 septembre 2016

Eternité : un film contemplatif d'une beauté sidérante.

Eternité évoque le destin d'une famille sur plusieurs générations, en se centrant surtout sur Valentine et ses enfants. Un destin ordinaire, fait de naissances et de départs, de joies et de deuils. La vie...

C'est un film contemplatif d'une beauté formelle ahurissante. Il y a très peu de dialogues, une voix off très présente, beaucoup de musique (Bach, Beethoven, Chopin, Fauré...). Et des images sublimes, lumineuses, sensuelles, à fleur de peau, avec beaucoup de gros plans, des magnifiques mouvements de caméra, de longs plans, des ralentis... On pense, inévitablement, à Terrence Mallick (l'affiche du film rappelle d'ailleurs celle de Tree of Life).

Il y a certes un côté un peu désuet dans le destin de cette famille bourgeoise, ses nombreux enfants et ses mères au foyer. Mais c'est aussi l'époque de l'histoire du film qui veut cela, un temps où la mortalité infantile était plus grande (on le voit dès la scène d'ouverture). Certains y trouveront sans doute un côté réac (et, je l'avoue, j'y ai un peu pensé à un moment du film...). Mais finalement non, c'est un peu suranné sans doute (le texte de la voix off y contribue parfois) mais ça a aussi son charme...

Et surtout, Eternité est avant tout un film sur la vie, la mort, l'amour. Sur la maternité aussi. Sur le temps qui passe, les souvenirs qui restent. Une impression d'éternité traverse le film grâce à un constant va et vient dans le temps, par ses flashbacks et l'évocation de souvenirs. Le récit n'est pas linéaire et témoigne à la fois du cycle de la vie qui se répète et du temps qui passe. L'éternité...

Très beau casting. Audrey Tautou, Mélanie Laurent et Bérénice Béjo sont magnifiques. Jérémie Renier et Pierre Deladonchamps, excellents. Tous superbement mis en valeurs par la caméra du réalisateur, Tran Anh Hung.

Le film divise la critique. J'ai lu que plusieurs se sont ennuyé. Tant pis pour eux... Moi j'ai été conquis par ce film contemplatif d'une beauté sidérante.

lundi 12 septembre 2016

Comancheria : un western contemporain, implacable et magistral

Après le décès de leur mère, deux frères, dont l'un sort de prison, organisent une série de braquages de banque. Ils n'ont que quelques jours pour rassembler une somme qui leur permettrait de rembourser la banque et éviter la saisie de leur propriété familiale. Un ranger, presque à la retraite, avec son adjoint, mènent l'enquête.

Comancheria contient tous les ingrédients du western : les cowboys, les hors-la-loi, les braquages de banque, les grands espaces, les fusillades, et même les indiens (l'adjoint du ranger). Mais le tout est traité de façon très moderne, avec une histoire ancrée dans la réalité d'une Amérique profonde contemporaine, où le rêve américain est désormais désenchanté. Le scénario est implacable, formidablement dialogué (et avec humour !), les personnages complexes et attachants, le film magistral. Il y a quelque chose des frères Coen de No Country for Old Men dans Comancheria...

Les acteurs sont tous excellents : Chris Pine est méconnaissable pour ceux qui ne le connaissent que comme le capitaine Kirk, Ben Foster est extraordinaire, électrique, Jeff Bridges est génial en vieux flic vanneur. Et la musique, signée Nick Cave et Warren Ellis, excellente. Vraiment un excellent film !

Frantz : un mélo classique et lumineux, du beau et grand cinéma.

En 1919, dans une petite ville allemande, Anna se rend tous les jours sur la tombe de Frantz, son fiancé, tombé sur le front en France. Un jour, elle y trouve des roses et elle apprend que c'est un jeune Français qui les y a déposées. Ce jeune Français, Adrien, se rend au domicile des Hoffmeister, les parents de Frantz chez qui Anna vit, et qui la considèrent comme leur propre fille. Mais il est immédiatement chassé par le père, qui ne veut rien entendre d'un français qui aurait pu tuer son propre fils. Anna va retrouver Adrien et l'invite à revenir chez les Hoffmeister. Il leur explique être un ami de leur fils, depuis avant la guerre...

Dans le contexte de l'immédiat après-guerre de 14-18, les plaies sont encore béantes, et la haine de l'ennemi encore vive. Cela donne quelques scènes très fortes dans le film, avec la présence d'un jeune français en Allemagne, et plus tard, celle d'une jeune femme allemande en France (je pense en particulier à une scène marquante dans un café parisien où les clients entonnent spontanément la Marseillaise).

Le contexte historique du film permet d'aborder des questions liées à la guerre. Comment survivre à la guerre ? Quand on est un soldat rescapé... Quand on a perdu un fils ou un fiancé sur le champ de bataille... Peut-on surmonter la culpabilité d'avoir tué ou d'avoir envoyé ses fils se faire tuer ?

Mais le film parle aussi de pardon, de secret et de mensonge. La vérité est-elle toujours bonne à dire ? Le mensonge peut-il être préférable si l'intention est bonne ? Une scène de confession d'Anna à un prêtre est particulièrement intéressante à cet égard.

Frantz est un mélo classique mais lumineux : l'image est très belle, le choix du noir et blanc confère au film un ton nostalgique qui convient parfaitement au propos. Mais le réalisateur, François Ozon, a aussi la bonne idée de proposer juste quelques scènes en couleur (dont le premier et le dernier plan), notamment pour accompagner l'humeur des protagonistes.

Les acteurs, allemands et français, sont très bons. A commencer par Paula Beer, une très belle révélation. Le film aurait d'ailleurs pu aussi s'appeler Anna... Elle est presque de tous les plans et capte littéralement la lumière. Et Pierre Niney a un physique qui convient parfaitement à l'époque !

Mélo classique, certes, mais d'une maîtrise formelle remarquable et d'une belle intensité, Frantz, c'est du beau et grand cinéma, comme on l'aime !

lundi 5 septembre 2016

Divines : un film percutant et généreux

Dounia vit avec sa mère dans un camp de Roms. Maimouna, sa meilleure amie, vit dans une cité où son père est imam de la mosquée. Elles sont inséparables et font leur petit trafic. Mais Dounia en veut plus. Fascinée par Rebecca, caïd respectée du quartier, elle décider d'aller avec son maie lui demander de travailler pour elle.

Divines, c'est une histoire d'amitié à l'épreuve d'une réalité sociale dure et violente, à laquelle se mêlent trafics, argent facile et religion. Malgré ce contexte sombre, le film est plein d'énergie, d'humanité et de générosité, avec une histoire forte, dans l'air du temps, et de jeunes comédiennes prometteuses. C'est percutant. Le film atteint même parfois de vrais moments de grâce (je pense notamment à quelques scènes proches de la chorégraphie).

Un mot encore sur la bande de jeunes comédiennes excellentes pour signaler l'actrice principale, Oulaya Amamra. Une révélation ! Elle crève littéralement l'écran, extraordinaire de présence, de force et d'émotion. Je ne vois pas comment le César du meilleur espoir féminin pourrait lui échapper !

En bref, Divines est un très joli premier film qui a bien mérité son prix de la caméra d'or au dernier festival de Cannes et qui révèle une jeune actrice à suivre absolument dans les années à venir.