vendredi 20 mai 2022

Oussekine : un devoir de mémoire

 

Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, en pleines manifestations étudiantes contre le projet de réforme universitaire Devaquet, un ordre est donné aux voltigeurs (des policiers armés de matraque et montés sur une moto) de faire des rondes pour rechercher de prétendus casseurs. Trois policiers prennent en chasse Malik Oussekine, un jeune homme qui sortait simplement d’un club de jazz dont il était un habitué. Il sera roué de coups par les policiers dans un hall d’immeuble et décédera suite à cette agression. 

Oussekine est une remarquable mini-série française, constituée de 4 épisodes d’une heure environ, et qui revient sur ce tragique épisode de violence policière qui a marqué les esprits. 

La reconstitution est minutieuse et la réalisation impeccable, signée Antoine Chevrollier (qui a travaillé notamment sur Le bureau des légendes et Baron noir). Un montage intelligent permet petit à petit, tout au long des quatre épisodes, de reconstituer la nuit du drame mais aussi de découvrir la personnalité de Malik et le portrait de sa famille. Le scénario permet de garder un bel équilibre narratif entre la portée politique et sociale de l’événement d’une part, et le drame intime qui se joue pour une famille, un drame accentué par le mépris, l’hypocrisie et le racisme auxquels elle doit faire face. Le tout est filmé avec beaucoup de sobriété, ce qui n’ôte nullement la force du propos, bien au contraire. 

La fin de l’épisode final souligne, presque avec résignation, sous le regard hagard de la famille, la peine dérisoire à laquelle les policiers reconnus coupables sont condamnés (une condamnation “de principe” avec seulement de la prison avec sursis…). Cette conclusion laisse un goût amer, celui d’une justice à deux vitesses, et d’un verdict qui représente une regrettable jurisprudence en matière de violence policière… La série ne se termine pourtant pas dans la colère mais avec des plans sobres sur les frères et soeurs de Malik, aujourd’hui, 35 après les faits. Une fin qui impose un devoir de mémoire, pudique et digne, mais essentiel. Parce que les problématiques n’ont, finalement, pas tellement changé… 

Les actrices et acteurs de la série sont remarquables, avec, dans des seconds rôles importants, quelques figures très connues (Kad Merad, Olivier Gourmet, Laurent Stocker) mais aussi beaucoup de comédiens moins connus, tous excellents. Mentions spéciales à Mouna Soualem dans le rôle de Sarah Oussekine et Hiam Abbass dans le rôle de la mère de Malik. 

Oussekine est une série qu’on peut qualifier de nécessaire par le sujet qu’elle aborde, et l’intelligence avec laquelle elle l’aborde. 

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Oussekine, une mini-série créée par Antoine Chevrollier 
4 épisodes d'une heure environ, disponibles sur Disney+ 


vendredi 13 mai 2022

Ozark : un final magistral pour une série noire devenue grande

Ce n’est pas facile de bien terminer une série. Beaucoup s’y sont cassé les dents, provoquant parfois la colère des fans. De toute façon, un final de série fait rarement l’unanimité, et c’est le cas de la série Ozark, dont la saison finale a été récemment mise en ligne sur Netflix. Mais pour ma part, je l’ai trouvé parfaite, tout à fait cohérente avec l’ensemble de la série, tout en étant indécise jusqu’au bout. Magistral. 

Ozark est incontestablement une série qui s’est bonifiée au cours des saisons. Elle commence comme une bonne série, sans plus, et se termine comme une grande série noire.

Petit rappel du pitch de la série. Marty Byrde est conseiller en gestion financière… mais il blanchit aussi de l’argent pour le compte d’un cartel mexicain de la drogue. Alors qu’une somme importante a disparu, Marty est contraint de quitter Chicago et il emmène toute sa famille s’installer au bord du lac des Ozarks, dans le Missouri. Il va devoir trouver des solutions pour blanchir l’argent du cartel et rembourser sa dette, tout en échappant au FBI… 

Ozark est une série dans la veine de Breaking Bad, c’est-à-dire noire et cynique, autour d’une famille américaine moyenne qui se retrouve embarquée dans une spirale infernale, à cause d’une “petite” concession morale initiale qui prend petit à petit une ampleur incontrôlable. Ses personnages sont complexes, très humains, avec toute leur part d’ombre. Une série face à laquelle le spectateur se retrouve en empathie avec des anti-héros qui peuvent commettre parfois les pires atrocités… et cela crée un sentiment étrange et fascinant. 

Ozark est une série sur la famille. D’abord la famille américaine moyenne qui, derrière des apparences de respectabilité, peut cacher des actes, des comportements et des secrets pour le moins condamnables. Mais aussi des histoires de familles déstructurées, instables, des familles de sang ou des familles de coeur, qui se construisent au gré des circonstances et des épreuves. La série permet d’aborder des questions nombreuses autour de la loyauté et de la fidélité, de la vérité et du mensonge, des relations dans le couple, des relations entre parents et enfants, du modèle familial à préserver ou non… Et dans la saison finale, c’est la question de la transmission qui est au coeur du récit, à différents niveaux : les enfants peuvent-ils échapper à leur héritage familial où sont-ils contraints de reproduire ce qu’ils ont vécu ? 

Mais Ozark est aussi une série sur notre monde capitaliste et sa violence, un monde où la fin justifie les moyens, où l’argent, et le pouvoir de l’argent, fait tourner la tête et corrompt les relations, les individus et les institutions. Comme le dit Chris Mundy, le showrunner de la série à propos de la saison finale : “Le capitalisme ne fonctionne que s'il y a un gagnant et un perdant.” Ozark l’illustre de façon cinglante…  

Il faut enfin souligner que ce qui fait aussi la réussite de la série, c'est son casting. Jason Bateman et Laura Linney sont extraordinaires dans les rôles de Marty et Wendy Byrde, de même que Julia Garner, la révélation de la série, dans le rôle de Ruth Langmore. 

Oui, Ozark se termine comme une grande série noire, dans un final qui laisse un goût amer. Et c’est bien qu’il en soit ainsi, c’est tout à fait cohérent avec l'histoire de la famille Byrde, et cela sert parfaitement le propos de la série. 

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Ozark, une série créée par Bill Dubuque, Mark Williams

4 saisons (44 épisodes au total) disponibles sur Netflix



jeudi 5 mai 2022

Moon Knight : un super-héros dans la mythologie égyptienne

 

Steven Grant, passionné d’archéologie, est employé dans un musée comme simple vendeur de souvenirs. Mais il est en proie à des trous noirs et reprend conscience parfois dans des lieux et des situations surprenantes. En réalité, il souffre de troubles dissociatifs de l’identité. Dans certaines circonstances, il devient Mark Spector, alias Moon Knight, un justicier au service de Konshu, le dieu égyptien de la lune. A moins que ce soit l’inverse…

Moon Knight est une mini-série à part dans le MCU (Marvel Cinematic Universe). Jusqu’ici, les séries disponibles sur Disney+ permettaient soit d’introduire de nouveaux personnages au sein du MCU, soit de faire évoluer sensiblement des personnages déjà connus. Moon Knight n’est rattachée à aucune autre série ou aucun film Marvel, même dans la scène post-générique du dernier épisode. On ne sait même pas, à ce jour, s’il y aura une saison 2, même si le final de la saison 1 (et surtout la scène post-générique) laisse ouverte une suite possible. 

On est dans la veine mythologique, en l’occurrence la mythologie égyptienne. L’univers est donc très différent de la mythologie nordique de Thor et Loki. L’ambiance orientale est bien rendue et le contexte de l’archéologie donne à la série un côté Indiana Jones très plaisant.

Une autre particularité du personnage de Moon Knight, c’est la maladie mentale avec la dissociation de personnalités dont souffre son héros. Même si dans ce domaine on est loin du délire assez génial de la série Legion (disponible aussi sur Disney+), c’est plutôt réussi et ouvre évidemment de nombreuses possibilités de scénario, notamment dans le fait de laisser planer le doute, et ceci jusqu’au bout, sur la perception de la réalité. 

Il y a enfin une pincée de genre horrifique inédit dans les séries Marvel (mais qu’on retrouve aussi dans le dernier Doctor Strange au cinéma). 

Dans le rôle de Steven Grant / Mark Spector, Oscar Isaac excelle en passant avec maestria d’une personnalité à l’autre. Face à lui, Ethan Hawke dans le rôle du méchant est glaçant à souhait. 

Même si on aurait aimé que la série aille un peu plus loin encore dans la folie, le spectacle est au rendez-vous. Et le fait qu’on n’ait pas à se prendre la tête pour faire le lien avec l’ensemble du MCU n’est pas désagréable… 

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Moon Knight, une série créée par Jeremy Slater

6 épisodes de 45 minutes environ, disponibles du Disney+



lundi 2 mai 2022

The Dropout : histoire d'une arnaqueuse ambitieuse

 

On sait que les Américains n’hésitent pas à s’attaquer à des affaires récentes pour en faire un film ou une série. Mais en l’occurrence, le défi était de taille puisque le procès d’Elizabeth Holmes vient à peine de se dérouler et que même si elle a été reconnue coupable de fraudes multiples, sa peine n’a même pas encore été prononcée (mais elle risque 20 ans de prison…) ! The Dropout raconte l’hallucinante histoire vraie du scandale de Theranos et sa jeune fondatrice, Elizabeth Holmes, la plus jeune “self-made” milliardaire de l’histoire. A 19 ans, elle arrête ses études à Stanford pour créer une start-up et développer une machine permettant de faire de nombreux tests sanguins sans seringue, avec juste une goutte de sang prélevée. Le problème, c’est que la machine n’a jamais fonctionné. 

On suit ainsi le parcours de l’étudiante brillante, et ambitieuse, qui rêve de changer le monde à la façon de Steve Jobs. On voit ses certitudes quant à son idée géniale, selon elle, et son incapacité à entendre les réserves et les critiques qui lui sont formulées. Il y a ensuite son ascension fulgurante, alors même que la machine n’a pas reçu d’autorisation des autorités sanitaires, et la construction d’un véritable empire sur la base de tests falsifiés, de mensonges et de dissimulations, de pression interne et de dissimulation, d’opération marketing et de lobbying qui ont convaincu des investisseurs, et non des moindres, à engager des centaines de millions de dollars dans l’entreprise. La série évoque enfin la chute brutale, précipitée par quelques scientifiques animés par une volonté de revanche, deux jeunes ex-employés de Theranos et un journaliste du Wall Street Journal. 

Avouons-le, The Dropout met un peu de temps à démarrer. Les premiers épisodes manquent de rythme et d’originalité. Mais au fil des épisodes, la série monte en puissance, la tension augmente sensiblement et le récit devient petit à petit passionnant. La deuxième moitié du show est une réussite totale. Il faut aussi souligner la performance impressionnante d’Amanda Seyfried dans le rôle d’Elizabeth Holmes. Son incarnation du personnage est bluffante : son travail sur la posture, l’attitude, la voix… regardez sur YouTube des interviews de la véritable Elizabeth Holmes pour vous en convaincre ! A ses côtés, l’ensemble du casting est excellent, jusque dans ses seconds rôles, avec une mention spéciale pour William H. Macy. 

The Dropout se révèle être une série passionnante, et assez alarmante, sur les travers d’un capitalisme effréné. Elle montre jusqu’où l’ambition et les certitudes absolues peuvent mener, au détriment d’investisseurs qui se laissent berner et d’employés fascinés qui se retrouvent du jour au lendemain sans travail. C'est une histoire qui fait froid dans le dos, parce que c’est bien la santé de milliers de personnes qui est en jeu, sacrifiée sur l’autel de l’ambition d’une jeune femme qui rêve de changer le monde, et qui semble s’aveugler elle-même, complètement déconnectée de la réalité. Enfin, effet collatéral, ce scandale impacte aussi négativement la cause des femmes, la figure d'Elizabeth Holmes agissant comme un épouvantail (elle s'est elle-même défendu avec une argumentation sexiste fallacieuse)... 

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The Dropout, une mini-série créée par Elizabeth Meriwether
8 épisodes de 50 minutes environ, disponibles sur Disney+


dimanche 1 mai 2022

Avis express sur quelques séries

Voici à nouveau quelques critiques express pour des séries intéressantes qui viennent de se terminer ou sont disponibles depuis peu... 

On trouve les trois premières sur Apple TV+, qui propose vraiment des productions de qualité :

The Last Days of Ptolemy Grey (mini-série de 6 épisodes disponible sur Apple TV+)

Un vieil homme atteint de la maladie d’Alzheimer accepte un traitement expérimental qui lui permettra de recouvrer toutes ses facultés et sa mémoire… mais pour quelques jours seulement. Cela lui laissera juste le temps de faire la lumière sur une affaire tragique concernant sa famille. Une série émouvante autour de la vieillesse et de la famille (de sang ou de cœur). Avec un Samuel Jackson à contre-emploi. 


Pachinko (saison 1, avec 8 épisodes, disponible sur Apple TV+) 

Une grande fresque sur presque quatre générations, entre les années 1920 et la fin des années 1980, qui évoque à travers le destin d’une famille le sort des milliers de coréens expatriés au Japon lorsque la Corée était sous la colonisation japonaise. Même si on se perd un peu avec les incessants allers-retours temporels, une série émouvante sur le déracinement et l’héritage familial, avec une très belle photographie. La série a été renouvelée pour une saison 2. 


Slow Horses (saison 1, avec 6 épisodes, disponible sur Apple TV+)

Une équipe d’espions mis au placard dans un obscure département du MI5 se retrouve mêlé à une prise d’otage qui tourne mal. Une série d’espionnage solide, tout en ayant juste ce qu’il faut de touches d’humour british. C’est plutôt classique mais le scénario tient bien la route, avec des personnages intéressants… et le toujours excellent Gary Oldman ! Bonne nouvelle : il y aura une saison 2 !


Enfin, une série française disponible sur Netflix. 

Drôle (saison 1, avec 6 épisodes, disponible sur Netflix)

Créée par Fanny Herrero, la showrunner de l'excellent 10 pour cent, Drôle est une série qui évoque le petit milieu du Stand Up, autour de quatre jeunes comédiens qui rêvent de percer dans le métier. C’est aussi, plus largement, le portrait d’une jeunesse d’aujourd’hui. Une série très agréable, avec des personnages attachants.