lundi 23 février 2015

Réalité : Surréaliste, loufoque et inquiétant

Quentin Dupieux a un univers bien à lui. Surréaliste. Absurde. Etrange. Un univers qu'on retrouve avec un certain délice dans Réalité.

A vrai dire, le film est quasiment impossible à raconter ! Jason Tantra (Alain Chabat) rêve de réaliser son premier film. Un film d'horreur au scénario improbable. Bob Marshall (Jonathan Lambert), riche producteur, est prêt à financer le film à une seule condition : Jason a 48 heures pour trouver le meilleur gémissement de l'histoire du cinéma. Mais ça, ce n'est qu'une toute petite partie du scénario... Dans le film, il y a aussi une petite fille qui récupère une cassette vidéo dans un sanglier, un directeur d'école qui s'habille secrètement en femme, un animateur d'une émission de télé pourrie qui est persuadé d'avoir de l'eczéma sur tout le corps alors qu'il n'a rien, etc. Et toutes ces intrigues vont se mélanger sans qu'on arrive à savoir si c'est la réalité ou un rêve voire même un rêve dans un rêve !

Quentin Dupieux avait déjà utilisé la mise en abîme du film dans le film, avec Rubber, mais dans Réalité il va beaucoup plus loin, rendant le film finalement assez inquiétant, jusqu'à sa dernière réplique. On a l'impression de vivre un vrai cauchemar éveillé avec cet OVNI cinématographique dans la lignée de ses précédents films. Le réalisateur prend un malin plaisir à nous balader dans une histoire sans queue ni tête, avec des personnages truculents et des idées scénaristiques folles. Et on retrouve, dès le premier plan, une image très travaillée, dans l'esthétique développée par le réalisateur depuis Wrong. Enfin, si habituellement Quentin Dupieux compose lui-même la musique de ses films, ici il a la bonne idée d'utiliser une musique hypnotique de Phil Glass, parfaitement choisie pour ce rêve dont ont ne s'éveille jamais.

lundi 9 février 2015

It Follows : flippant et magistral

It Follows est un film de genre qui repose sur une grande peur classique : l'impression d'être suivi. Par une sorte de malédiction, une lycéenne se retrouve suivie par "quelqu'un", qui prend la forme de proches ou d'inconnus, et qui marche lentement, cherchant à la tuer. Il n'y a qu'une seule échappatoire : transmettre la malédiction à quelqu'un d'autre, par le biais d'une relation sexuelle. Mais si cette personne "contaminée" est tuée, alors on remonte la chaîne... Bien-sûr, personne ne voit ces êtres tueurs, sauf celui qui est suivi, et celui qui lui a transmis la malédiction.

L'histoire est vraiment flippante et magistralement mise en scène. Il faut souligner la beauté formelle des images et la qualité des plans. Avec en particulier un usage remarquable du second plan, jusque dans la dernière scène du film. Je pense notamment à une scène dans un lycée où la caméra tourne lentement à 360° et où on voit par la fenêtre quelqu'un s'avancer petit à petit, inexorablement... Le spectateur se retrouve dans la situation de la victime, à scruter la foule ou le paysage pour voir si "il" arrive ! L'angoisse est remarquablement entretenue. Vous ne pourrez plus marcher dans la rue comme avant, sans observer ceux qui vous entourent !

L'histoire manie de nombreux symboles. Le fait que les héros du film soient des adolescents n'est pas un hasard... Des adolescents qui se retrouvent seuls face aux dangers, les parents étant totalment absents, pour différentes raisons. De plus le film se passe à Detroit, véritable ville fantôme. L'histoire fait penser aux chaînes morbides qui menacent de mort ceux qui ne la transmettent pas. La "malédiction" qui se transmet par les relations sexuelles fait planer l'ombre du SIDA. Tout cela donne au film une dimension plus profonde, quasi existentielle.

It Follows est un film angoissant, parfaitement maîtrisé; Un film qui parle de la mort, de l'angoisse de vivre face à une mort inexorable. Mais le film veut montrer qu'on ne peut pas y faire face seul. Le véritable amour est peut-être de choisir de partager les mêmes dangers.

lundi 2 février 2015

Snow Therapy : chronique mordante d'un couple en crise

Snow Therapy raconte l'histoire d'une famille suédoise qui prend quelques jours de vacances dans une station de ski des Alpes françaises. Un jour, sur la terrasse d'un restaurant d'altitude, ils assistent à une avalanche déclenchée par la station et donc, normalement, contrôlée. Mais l'avalanche prend de l'ampleur et semble devoir s'écraser sur le restaurant. C'est la panique sur la terrasse. Ebba, la mère, esaye de protéger ses enfants. Tomas, le père, quant à lui, s'enfuit en courant. Finalement, tout le monde s'en sort avec un grosse frayeur. Personne n'est blessé. Le soir même, au cours d'un dîner avec des amis, le couple évoque leur aventure. Mais lorsque Ebba évoque la fuite de son mari, celui-ci refuse de le reconnaître... Malaise. Une autre avalanche vient de se déclencher, d'un tout autre ordre, qui viendra ébranler le couple et révéler des failles jusqu'alors cachées.

Oscillant entre comédie et tragédie, le film s'écoule tel une avalanche lente mais inexorable, mettant le couple en péril, affectant leur entourage (les enfants, un couple d'amis)... on va vers la catastrophe. Chronique mordante et acide, Snow Therapy porte un regard plutôt cynique sur la famille. La figure du mari et du père en prend notamment pour son grade. Il pose la question des rôles supposés ou attendus de chacun dans le couple. Il souligne le poids des non-dits, des attentes, exprimées ou non. Peut-on échapper à la pression des stéréotypes sur le rôle de l'homme et de la femme ?

La réalisation de Ruben Östlund est remarquable dans sa façon d'évoquer le malaise au cours des repas, le poids du silence dans la lente ascension des pistes, où la montagne ou la station et ses équipements apparaissent comme des personnages à part entières. Le film est aussi très bien interprété, avec notamment Johannes Bah Kuhnke (qui joue le personnage de Rick dans la géniale série Real Humans).

Snow Therapy (mais pourquoi ne pas avoir gardé le titre original "Turist" qu'on comprend aisément ?) est donc un excellent film, avec un scénario et une réalisation remarquables, qui tantôt nous fait rire, tantôt nous met mal à l'aise ou nous émeut. Un film aussi qui interroge notre perception de la famille et du couple.

dimanche 1 février 2015

Tau Zéro : un roman vertigineux

Ecrit dans les années 70, Tau Zéro de Poul Anderson n'est paru en français qu'en 2012. Le roman est pourtant considéré, à juste titre, comme un chef d'oeuvre de la science-fiction, ou plus précisément de hard-science (où le récit colle au plus près des connaissances scientifiques).

Nous sommes au XXIIIe siècle. 50 personnes triées sur le volet (25 hommes et 25 femmes) quittent la Terre à bord d'un vaisseau spatial. Objectif : atteindre l'étoile Beta Virginis à quelques 32 années-lumière de la Terre, trouver dans ce système solaire une planète habitable et s'y installer. L'humanité aura ainsi commencé à coloniser l'univers... Le voyage connaîtra deux phases : une première phase d'accélération constante, puis une phase de décélération. Pour les passagers du vaisseau, le voyage durera cinq années... mais à cause de la relativité et de la dilatation du temps, plus de trente années auront passé sur la Terre.

Mais ça, c'est si tout se passe comme prévu ! Or, en pleine phase d'accélération, un accident improbable se produit. Le vaisseau est endommagé : le système de décélération est hors d'usage. Le vaisseau est donc condamné à accélérer sans fin et à tendre ainsi de plus en plus vers la vitesse de la lumière. Y a-t-il une issue ? Comment l'équipage encaissera-t-il le choc ? C'est évidemment toute la question de la suite de l'histoire...

Roman de hard-science vertigineux, passionnant dans son exploitation de la théorie de la relativité, Tau Zéro tient le lecteur en haleine jusqu'au bout. Et même si la toute fin du roman est contredite par les théories scientifiques actuelles, le roman dans son ensemble est très réaliste. L'édition française propose en annexe une analyse très intéressante du roman écrite par un scientifique qui souligne le travail scientifique remarquablement précis de Poul Anderson.

J'ai globalement été moins intéressé par les considérations sociologiques et psychologiques de la vie de l'équipage en huis-clos et dans sa façon d'affronter l'épreuve à laquelle ils sont soumis. J'ai par contre été passionné par la folle aventure spatiale, scientifique et cosmologique. Sur ce plan, le roman est d'une ampleur considérable, au point parfois de donner le vertige... et susciter des prolongements philosophiques très intéressants.