mercredi 24 février 2016

The Revenant : éprouvant, âpre, violent, mystique. Un grand film !

Très grièvement blessé par un ours, Hugh Glass, un trappeur, est laissé sous la garde de deux de ses compagnons et son fils (qu'il a eu avec sa femme amérindienne, elle-même tuée par un soldat). Il sera finalement abandonné par ceux qui devaient veiller sur lui, laissé pour mort, après avoir assisté au meurtre de son fils par l'un de ses compagnons, Fitzgerald. Mais Glass refuse de mourir et il se lance, seul, sur la piste de ce dernier, hanté par les souvenirs de sa femme et de son fils décédés.

Regarder The Revenant, c'est vivre une expérience cinématographique intense tant le film est éprouvant, âpre, violent, fantomatique... mais également lyrique, onirique, métaphysique.

Eprouvant, le film l'est pour le spectateur, immergé dans l'épreuve traversée par Glass, si près de son visage buriné et de son corps couvert de plaies. Eprouvante aussi, sans doute, pour les acteurs, le film ayant été tourné en décors naturels, dans des conditions extrêmes. C'est criant de vérité. L'attaque de l'ours est une des scènes les plus impressionnantes qu'il m'a été donné de voir au cinéma. Violente. Au plus près de l'action. On sent presque l'haleine du grizzly sur notre visage. Le duel final, presque en miroir du combat avec l'ours, est aussi bestial et impressionnant.

Le film est aussi fantomatique et onirique. Glass est hanté par le souvenir de sa femme et de son fils, tous deux tués dans des circonstances dramatiques. Ce sont eux qui lui donnent la force de rester en vie. Ses rêves et ses hallucinations, dus également sans doute à ses multiples blessures, lui font retrouver ses deux êtres aimés dans des scènes oniriques d'une grande force. Je pense en particulier à une scène bouleversante dans une église en ruine au milieu de laquelle des arbres ont poussé.

Le film est enfin lyrique, notamment avec des plans sublimes sur une nature hostile mais d'une beauté à couper le souffle, filmée à la manière de Terrence Mallick. Dans ces plans lyriques comme dans les scènes de lutte, Alejandro Gonzalez Inarritu prouve une nouvelle fois sa maîtrise absolue de la caméra, le tout baigné dans une lumière d'une grande subtilité et soutenu par une magnifique musique originale de Ryuichi Sakamoto (cordes, percussions et onde Martenot).

De plus, le film a aussi une dimension métaphysique et spirituelle. Parabole du combat de la vie, où l'homme est un loup (un ours ?) pour l'homme, où la force de l'amour surpasse celle de la mort. Un film où le personnage de Glass passe par un véritable chemin de résurrection : mort et enterré, trahit par ses frères, il sort de sa tombe vivant ! Dans la fameuse scène de l'église en ruine, on voit une fresque de la crucifixion où les souffrances du Christ rappellent celle du héros. Et puis il y a le questionnement sur la vengeance. A qui appartient-elle ? Et qu'apporte-t-elle ? Des questions restent ouvertes, et le dernier plan du film, qui prend aux tripes, semble nous inviter à trouver les réponses à notre tour.

Enfin, il faut évidemment parler de la performance des acteurs, tous exceptionnels. Leonardo Di Caprio est immense et intense. Il habite le personnage avec une force et un investissement total. C'est très impressionnant. Tom Hardy est, lui aussi, absolument remarquable dans le rôle du "méchant" Fitzgerald.

The Revenant n'est pas qu'un grand film. C'est une expérience cinématographique intense et éprouvante dont on ressort un peu KO... mais hanté par des scènes marquantes, des images sublimes, et le regard de Leonardo Di Caprio.

lundi 22 février 2016

Ave César : Un petit bijou de drôlerie cynique et jubilatoire

Ave César, c'est le titre du nouveau péplum produit par les studios Capitole dans les années 50. Au milieu du tournage, la star du film, Baird Whitlock, disparaît. Il a été enlevé par un groupe d'activistes politiques (je n'en dis pas plus pour garder la surprise) qui réclament une rançon de 100000 dollars. Mais ce n'est pas le seul problème qu'Eddie Mannix devra régler au cours de sa folle journée. Il va devoir anticiper les susceptibilités des différentes communautés religieuses face au script de la nouvelle grande production sur la vie de Jésus, convaincre un réalisateur vedette d'intégrer dans son film dramatique un jeune espoir du western, tenter de sauver la réputation de la reine du ballet nautique, gérer deux jumelles, chroniqueuses rivales et avides de scoops sur la vie privée des stars... Mais ça, c'est le quotidien d'Eddie Mannix !

Avec un pitch pareil, on comprend que le film est foisonnant et jubilatoire. On est transporté d'un tournage à l'autre avec des films typiques de cette époque : un péplum, un western, une comédie musicale, un film de ballet nautique, une adaptation d'une pièce de théâtre... On pénètre aussi dans les coulisses de la machine à rêve hollywoodienne... et ça fait mal. D'autant que les histoires sont soumises au regard cynique dont les frères Coen ont le secret. Il faut préciser toutefois que le film fait référence à des personnes et des cas ayant vraiment existé (cf. cet article de slate.fr)

Ave César est donc une comédie grinçante, avec des scènes délirantes, des personnages hauts en couleur, des dialogues savoureux. Un régal ! Et, au-delà du cynisme, le film est bien aussi un hommage au cinéma hollywoodien des années 50 (avec notamment une voix off si caractéristique des films de cette époque). On y retrouve aussi la référence au religieux, comme souvent chez les frères Coen. La scène où Eddie Mannix convoque un prêtre catholique, un pasteur, un prêtre orthodoxe et un rabbin pour avoir leur avis sur le scénario du péplum évoquant le Christ est à la fois hilarante et vraiment bien vue...

Le casting incroyable du film, y compris parfois pour seulement une ou deux scènes (Frances McDormand !) permet aux frères Coen de nous amuser avec une galerie de personnages plus savoureux les uns que les autres, gravitant autour d'Eddie Mannix, impeccablement incarné par l'excellent Josh Brolin.

Ave César est vraiment un film jubilatoire, un petit bijou de drôlerie cynique, ciselé en orfèvre par les frères Coen.

lundi 15 février 2016

Les innocentes : un drame poignant, un film sobre et lumineux

Pologne, en 1945. Mathilde Beaulieu est une jeune interne de la Croix-Rouge qui fait partie d'une équipe médicale qui soigne les rescapés français de la guerre avant leur rapatriement. Un jour, elle est appelée au secours par une religieuse qui la convainc de l'accompagner dans son couvent. Mathilde y découvre que plusieurs religieuses sont sur le point d'accoucher et qu'elles sont tombées enceintes par suite de viols perpétrés par des soldats soviétiques. Fidèles à leur discipline stricte, les religieuses doivent affronter leur culpabilité et leur crainte d'être damnées, elles qui, par la violence, ont vu leur voeu de chasteté brisé. La mère supérieure fait tout pour préserver le secret, pour protéger le religieuses du déshonneur. Et toutes font face à de profonds questionnements quant à leur foi, ébranlée par une telle épreuve.

Inspiré de faits réels, Les innocentes est un drame poignant, filmé par Anne Fontaine avec une grande sobriété et de façon lumineuse (les visages !), sans discours moralisateur, sans jugement porté sur les uns ou les autres. Le tout soutenu par une belle musique originale de Grégoire Hetzel. L'évolution de la relation entre Mathilde, jeune médecin issu d'une famille communiste, et les religieuses, attachées à leur discipline stricte, est très touchante. En particulier avec soeur Maria.

Au coeur du film se trouve aussi les questionnements sur la foi. Comment ces religieuses peuvent-elles continuer de croire, malgré l'horreur qu'elles ont vécue ? Et la question est abordée de façon très honnête et sensible, évoquant plusieurs chemins possibles, sans passer sous silence les doutes, les souffrances, les frustrations.

Sans dévoiler le dénouement de l'histoire, disons tout de même que la fin du film est bouleversante et pleine d'espoir. Malgré l'horreur, la vie peut reprendre le dessus et l'espoir renaître. C'est aussi cela, la foi...

lundi 8 février 2016

Steve Jobs : un biopic brillant, grand film en trois actes

Steve Jobs est un biopic brillant sur un personnage étonnant et complexe, véritable gourou de la révolution numérique. Le film a une vraie bonne idée, construire le scénario autour de trois moments précis de la vie de Steve Jobs : la présentation au public du MacIntosh en 1984, du Cube en 1988 et de l'iMac en 1998. Le film raconte à chaque fois, dans les coulisses, les minutes qui précèdent immédiatement les différentes présentations, un moment où gravitent autour de Steve Jobs ses proches et ses collaborateurs.

On y rencontre en premier lieu, Joanna Hoffman, sa plus proche et fidèle collaboratrice. La seule à pouvoir tenir tête à Steve Jobs et à russir à l'influencer, parfois. Elle qui se surnomme elle-même sa "working wife" (sa "femme au travail"). Il y a aussi Chrisann et sa fille Lisa, que Steve Jobs refuse de reconnaître comme sa fille. Steve Wozniack, comparse de Steve Jobs, John Sculley que Steve Jobs était allé chercher pour qu'il soit pdg de Apple, Andy Hertzfeld, informaticien membre de l'équipe de développement du MacIntosh...

L'évolution des relations entre ces différentes personnes est passionnante. Steve Jobs y apparaît comme un personnage à la fois fascinant et génial mais aussi insupportable, mégalo et suffisant. La thèse du film est que le fait que Steve Jobs ait été un enfant adopté, qui plus est dans des circonstances compliquées, avec des rejets successifs, est la clé pour comprendre son attitude. C'est vrai à la fois sur le plan professionnel, avec sa hargne et son énergie, malgré les échecs (jusqu'au triomphe de son iMac), et sur le plan personnel, dans sa difficulté à endosser son rôle de père.

Le film bénéficie d'un excellent casting, jusque dans les seconds rôles. Michael Fassbender est remarquable. Il incarne un Steve Jobs très convaincant, jusque dans ses transformations physiques. Et Kate Winslet est formidable dans le rôle de Joanna Hoffman.

La réalisation de Danny Boyle est brillante et virtuose. Ca bouillone et ça fuse de tous côtés, avec des dialogues incisifs. Il réalise une oeuvre en trois actes, comme une tragédie ou un opéra, avec un belle musique de Daniel Pemberton. Un grand film !

Anomalisa : un film d'animation fascinant

Michael Stone a une vie morne et monotone, même s'il est un auteur respecté de l'ouvrage « Comment puis-je vous aider à les aider ? ». Au cours d'un voyage d'affaire à Cincinnati, il rencontre une femme pas comme les autres du nom de Lisa...

Anomalisa est un film d'animation assez génial et très original. Mais attention, ça n'est pas du tout pour les enfants ! Très vite dans le film un certain malaise s'installe pour le spectateur. On ne s'en rend pas compte tout de suite mais petit à petit, on réalise que tout le monde a le même visage et la même voix masculine, même les femmes et les enfants ! On partage alors le sentiment de solitude extrême du héros. Jusqu'au jour où il tombe par hasard sur une femme différente du nom de Lisa. Un peu maladroite et complexée par une cicatrice qu'elle cache sur son visage, Lisa va fasciner Michael qui en tombe amoureux. Car elle n'a pas le même visage que les autres et, surtout, elle a une voix unique, une voix de femme !

Anomalisa est un film vraiment étonnant. Fascinant, dérangeant. Profond, aussi. Le film est réalisé en "stop motion", une technique d'animation image par image qui permet de faire bouger des objets et des marionnettes. Cette technique colle parfaitement au sujet, accentuant l'impression du héros d'être une marionnette ballottée dans la vie, sentiment qui atteint son paroxysme dans un cauchemar au milieu du film.

Anomalisa aborde de nombreux thèmes existentiels tels que la solitude, la quête de l'amour, la quête de soi-même. Il évoque notre société parfois déshumanisée, avec ses relations stéréotypées qui accentuent la solitude et la perte de sens.

Un film d'animation pas comme les autres, qui a remporté le lion d'argent, grand prix du jury à la Mostra de Venise. Fascinant.

Chocolat : un biopic doux et amer, un très joli film

Chocolat, c'est le nom d'un clown, premier artiste noir de la scène française au début du XXe siècle. Le film est un biopic à la fois doux et amer, drôle et triste, évoquant le parcours du clown depuis un petit cirque de Province jusqu'à la gloire parisienne... avant sa déchéance, victime des dangers de la célébrités, de l'argent facile, des jeux d'argent mais aussi des discriminations et du racisme dans la France colonialiste.

Dans ce contexte, un véritable malaise gagne le spectateur face au racisme quotidien dont est victime Chocolat (insultes, plaisanteries douteuses, pressions, violence policière). Je pense aussi au moment de la visite de l'exposition coloniale. Et il y a le rôle que joue le clown Chocolat, lui qui se fait botter les fesses par le clown blanc tous les jours...

Mais le film est aussi une belle histoire d'amitié, mise à mal par le contexte et les a prioris racistes. Le duo, en plus d'être inédit par le fait qu'il réunit un artiste blanc et un artiste noir, établira le modèle qui perdure du duo de l'Auguste et du clown blanc.

Il faut souligner la très belle interprétation des acteurs. Omar Sy est vraiment très bien, et pas seulement dans le registre comique. Il incarne avec conviction le rôle de Chocolat. Mais la performance vraiment extraordinaire du film est à mettre au crédit de James Thiérrée, petit fils de Charlie Chaplin. Il est incroyable dans le rôle de Footit. Il connaît bien le milieu du cirque et ça saute aux yeux. Mais son jeu d'acteur est aussi formidable de sensibilité et de force. Le duo fonction très bien dans les scènes de clowns et les deux acteurs sont bouleversants dans la scène finale du film.

Au niveau de la réalisation, la reconstitution du monde du cirque au tournant du XXe siècle est très réussie, de la rudesse du petit cirque de Province aux paillettes du nouveau cirque de Paris.

Chocolat est donc au final est trè joli film, un biopic doux et amer, magnifiquement interprété. J'ai ri, j'ai pleuré. Bref, j'ai beaucoup aimé !

lundi 1 février 2016

Spotlight : Un grand film, une plongée passionnante dans le journalisme d'investigation

Spotlight, c'est le nom de l'équipe d'investigation du Boston Globe. Le film évoque l'enquête, couronnée par un prix Pulitzer, que l'équipe a menée pour mettre au jour un scandale d'abus sexuels sur enfants, au sein de l'Eglise catholique. On y découvre non seulement les actes pédophiles commis par des dizaines de prêtres mais aussi les manoeuvres de l'institution religieuse pour étouffer les affaires et empêcher les familles de déposer plainte.

Le film est d'abord une plongée dans le journalisme d'investigation. L'enquête des quatre journalistes se révèle passionnante, avec leur dévouement parfois au péril de leur vie privée, leur obstination pour obtenir les informations nécessaires, les décisions difficiles à prendre pour arriver à mettre en cause l'institution et ne pas faire qu'un simple coup d'épée dans l'eau. Car on découvre avec eux petit à petit l'ampleur du scandale.

En effet, l'histoire, inspirée de faits réels, est sordide. Les récits des "survivants" en témoignent. Ils sont suffisants dans le film pour comprendre le scandale, mais sans jamais être voyeuriste. Et quand on réalise le nombre de prêtres impliqués et le nombre de victimes, on ne peut qu'être bouleversé.

On est révolté par l'attitude de l'institution religieuse pour sauver la face. On est atterré devant toutes les vies brisées de ces enfants. Et on déplore aussi les conséquences catastrophiques du point de vue spirituel. Je pense ici en particulier à deux scènes du film. L'une où un "survivant" évoque les abus sexuels subis et qu'il parle par la même occasion d'un viol spirituel : c'est aussi leur foi que ces prêtres leur ont volé. Ou lorsque Michael Rezendes (Mark Ruffalo) dit qu'il aimait aller à l'église lorsqu'il était petit et que, même s'il n'y allait plus, il s'accrochait à l'idée de recommencer à y aller un jour. Mais comment l'envisager maintenant ? Une scène bouleversante le place au fond d'une église, en train de regarder un choeur d'enfant chanter des chants de Noël. Avec toute sa détresse dans son regard...

Il faut noter la qualité remarquable du casting qui rend tellement réaliste les coulisses du monde de la presse écrite. Avec une mention spéciale à Michael Keaton et, surtout, Mark Ruffalo qui incarne avec beaucoup de force l'un des quatre journalistes.

On ne sort pas indemne de ce film... mais on est aussi conforté quant à l'absolue nécessité de la liberté de la presse et du travail des journalistes ! Un grand film.