lundi 30 novembre 2015

Knight of Cups : un voyage intérieur fascinant, onirique et métaphysique

Knight of Cups s'ouvre, en voix off, avec l'introduction du Voyage du pèlerin de John Bunyan, récit allégorique, classique de la littérature anglaise, qui évoque les aventures de Christian dans son voyage jusqu'à la "Cité céleste" de Sion. Puis Rick, le personnage principal, évoque, toujours en voix off, le conte que son père lui racontait quand il était petit : « Il était une fois un jeune prince que son père, le souverain du royaume d’Orient, avait envoyé en Égypte afin qu’il y trouve une perle. Lorsque le prince arriva, le peuple lui offrit une coupe pour étancher sa soif. En buvant, le prince oublia qu’il était fils de roi, il oublia sa quête et il sombra dans un profond sommeil… »

Dès l'ouverture, on comprend donc que le film aura une portée mystique et métaphysique. Terrence Malick, dans la lignée de ses deux précédents films, propose un voyage intérieur, dans une succession de tableaux souvent contemplatifs, toujours fascinants, parfois d'une beauté sublime. Le récit, déstructuré, est chapitré par l'intitulé de cartes de tarots divinatoires (le titre du film désigne d'ailleurs une carte de tarot). On y croise le père de Rick, son frère et les femmes qui ont traversé sa vie. Un puzzle dont les pièces sont dispersées. A nous de le reconstituer, sans être sûr d'avoir toutes les pièces à disposition.

On retrouve les marques de fabrique du réalisateur : une caméra toujours en mouvement, un travail incroyable sur l'image (avec des plans beaucoup plus urbains que dans les films précédents), l'omniprésence de voix off.

Les liens sont évidents avec les deux précédents opus du réalisateur, eux aussi basés sur des scénarios déstructurés. On y retrouve, comme dans Tree of Life, l'évocation de la famille, le rapport au père, la mort d'un frère ; de même pour la quête de sens et la recherche de l'amour comme dans A la Merveille.

Si le film n'atteint pas la grâce unique de Tree of Life, Knight of Cups est tout de même un film fascinant et envoûtant, certes déroutant aussi, dans lequel il faut être prêt à se perdre et se laisser porter par les images toujours aussi sublimes de Terrence Malick. Comme souvent avec le réalisateur, les gens vont adorer ou détester (plusieurs spectateurs ont quitté la salle au cours de la projection à laquelle j'assistais...). Moi, j'ai aimé ! Je suis sorti du film avec plein de questions sans réponse mais aussi avec l'impression d'avoir vécu une expérience cinématographique singulière. Et aussi le sentiment que les richesses du film ne se dévoileront qu'après plusieurs visionnages.

lundi 9 novembre 2015

Le fils de Saul : une expérience cinématographique éprouvante

Saul est prisonnier dans le camp d'Auschwitz. Il est membre du Sonderkommando, des Juifs isolés des autres prisonniers, forcés d'aider les nazis dans leur plan d'extermination. Un jour, il croit reconnaître dans les traits d'un enfant mort le corps de son fils. Il n'aura désormais plus qu'une obsession : sauver cet enfant des flammes, trouver un rabbin et lui offrir une véritable sépulture.

Le Fils de Saul est un film oppressant. Le réalisateur, László Nemes, choisit de filmer toute cette histoire à la hauteur de son personnage principal. On passe presque la totalité du film à 30 centimètre du visage de Saul, incroyablement incarné par Géza Röhrig. Quel regard ! Une performance vraiment exceptionnelle !

C'est donc une vision très subjective qui est proposée, où l'horreur est suggérée plutôt que montrée. Tout ce qui environne Saul est flou mais on devine les corps dénudés, on entend les cris de détresse des prisonniers en train d'être gazés, les ordres agressifs des nazis, les coups de feu... On sort véritablement KO de cette expérience cinématographique éprouvante mais avec l'impression d'avoir vu un film qu'on ne peut pas oublier !

Nous trois ou rien : un film qui fait tellement de bien !

Dans son premier film, Kheiron raconte l'histoire de ses parents, Hibat et Fereshteh, opposants au Shah en Iran, puis au régime islamiste de Khomeiny. Obligés de fuir leur pays, puis réfugiés politiques en France, ils se retrouveront dans un quartier difficile de la banlieue parisienne.

Kheiron porte un regard plein d'admiration pour ses parents. Et on le comprend ! Leur parcours exemplaire force le respect. Le réalisateur adopte un ton original : même si le sujet est fort et même dramatique à plusieurs reprises, il arrive à garder un ton plein de tendresse et d'humour. On y retrouve même parfois des échos de Bref, la mini-série qui l'a fait connaître au grand public (avec aussi la présence de Kyan Khojandi dans le casting).

On rit souvent, grâce à des personnages hauts en couleur. Certaines scènes sont vraiment réussies : la demande en mariage aux parents de Fereshteh, la visite du château de Versailles par le groupe du centre social de banlieue...

Mais on est aussi souvent ému, touché jusqu'aux larmes par des scènes très fortes : dans la prison en Iran ou, une des plus belles scènes du film, lorsque Fereshteh téléphone pour la première fois à son père depuis la Turquie, sans dire un mot.

Le film bénéficie d'un très joli casting. Kheiron jour le rôle de son propre père. Leila Bekhti est excellente dans celui de Fereshteh et Gérard Darmon est très drôle dans le rôle du père de Hibat.

Au final, Nous trois ou rien est un film positif et drôle, émouvant et fort. Une belle leçon d'intégration qui invite au vivre ensemble, C'est un peu l'anti-Dheepan ! Alors qu'on sortait du film d'Audiard avec un malaise assez désagréable, on ressort du film de Kheiron plein d'espoir. Et ça fait tellement de bien dans le contexte actuel !

mardi 3 novembre 2015

The Walk : vertigineux et magique !

The Walk évoque le parcours du funambule français Philippe Petit, célèbre pour avoir relié sur un fil les deux tours du World Trade Center, 400 mètres au-dessus du sol, en 1974.

Dans sa première partie, le film est un biopic agréable et léger, où on découvre l'origine de la passion de Philippe Petit pour le funambulisme, son apprentissage et l'émergence de son rêve.

La tension monte d'un cran quand Philippe Petit prépare le coup du World Trade Center, filmé comme la préparation d'un casse d'une banque : élaboration du plan d'action, constitution de l'équipe, recherche de complices, improvisation face aux imprévus...

Et c'est alors que le moment tant attendu arrive. Dès l'instant où Philippe Petit met le pied sur le câble qui relie les deux tours, le film entre dans une autre dimension. C'est le cas de le dire ! En effet, la technologie 3D prend ici tout son sens. C'est vraiment vertigineux ! On connaît l'histoire, on sait pertinemment que le funambule ne tombera pas... et pourtant la tension ne retombe qu'à la fin de son coup d'éclat.

Mais là où Robert Zemeckis, le réalisateur, fait merveille, c'est qu'il arrive à aller au-delà du spectaculaire et propose une demie-heure finale tout simplement magique. Il y a une dimension poétique, une portée symbolique, un souffle de liberté étonnants dans ces quelques minutes qui, à elles seules, rendent le film assez unique. Et puis il y a la présence monumentale des Twin Towers et l'ombre du 11 septembre 2001... La fin du film est poignante : Philippe Petit évoque le fait qu'on lui a octroyé, après son exploit, un pass illimité pour accéder au sommet des tours. Un pass où à la place de la date d'expiration il est écrit "for ever", avant de voir, en guise de dernier plan, les deux tours à la lumière d'un couché de soleil. Ah, ils sont forts, ces américains !

Le parti pris de voir tout au long du film le personnage de Philippe Petit raconter son histoire, juché au sommet de la statue de la liberté, donne un petit côté fable ou conte de fée au récit du film. Le personnage central y apparaît comme un héros à la poursuite de son rêve, épris de liberté, défiant avec espièglerie les représentants de l'autorité et de la loi.

Bon casting, avec un Joseph Gordon-Levitt remarquable dans le rôle de Philippe Petit. Un petit bémol pour les acteurs américains qui parlent en français... même si Joseph Gordon-Levitt se débrouille pas mal du tout, c'est quand même peu crédible. Jolie musique originale d'Alan Silvestri.

The Walk est vraiment un bon film, et même une véritable expérience cinématographique enthousiasmante dans sa dernière demie-heure. A ne pas manquer !

lundi 2 novembre 2015

The Lobster : l'OVNI cinématographique de l'année !

Quitté par sa femme, David se retrouve seul et il intègre un hôtel un peu particulier : il a 45 jours pour y trouver l'âme soeur, sinon il sera transformé en l'animal de son choix ! Et il a déjà décidé que ce serait un homard.

Avec un tel pitch, on comprend que le film sera surréaliste ! Dans ce monde dystopique où il n'y a pas de place pour les célibataires (ils sont traqués par la police), le seul but est de trouver un conjoint. Et tous les moyens sont bons. Le film pointe du doigt, jusqu'à l'absurde, les pratiques contemporaines de recherche d'un conjoint (sites de rencontres, application pour smartphones...), basées sur différents critères... quitte à tricher pour y arriver. Mais ça n'est pas facile de trouver l'âme soeur. D'ailleurs, on apprend que le chien avec lequel David est arrivé à l'hôtel est en réalité son frère, qui avait échoué lors d'un précédent séjour dans le fameux hôtel (et c'est sans compter, pour la même raison, les animaux les plus incongrus qu'on rencontre dans la forêt : flamant rose, poney ou chameau).

Dans la première partie du film, la description de ce monde absurde donne naissance à des scènes cocasses (les démonstrations ridicules du personnel pour démontrer les avantages de la vie en couple sur la vie en solitaire) et des dialogues surréalistes, où surgissent parfois des épisodes violents ou cruels  (les sévices corporels en guise de punition, la chasse aux solitaires dans les bois, leur capture permettant aux résidents de gagner des jours supplémentaires...). Le ton général du film est d'ailleurs assez sombre, avec un langage parfois cru et des situations qui créent un réel malaise. Le film n'est pas forcément tout public...

Dans la deuxième partie du film, David s'échappe de l'hôtel et se retrouve au milieu d'un groupe de solitaires rebelles, réfugiés dans la forêt; qui vivent dans un groupe où toute relation amoureuse est interdite, sous peine là aussi de sévices corporels humiliants. C'est pourtant là que David rencontrera l'amour... ce qui sera aussi la cause de nouvelles souffrances.

The Lobster est un OVNI cinématographique ! J'imagine volontiers que plusieurs le détesteront. Moi, j'ai aimé ! C'est un film surréaliste, au ton très cynique, souvent drôle et absurde. Mais c'est aussi, sous bien de aspects, un film sombre et terrifiant. Un film vraiment étonnant qui a mérité son prix du jury au dernier festival de Cannes. Colin Farrell est parfait dans le rôle d'un homme perdu à la recherche de l'amour, et Rachel Weisz très touchante. A noter : le très bon choix de musiques utilisées dans le film (notamment celles, grinçantes, extraites d'oeuvres de Chostakovitch et de Schnittke)

Sous ses aspects de fable surréaliste, le film peut s'avérer très intéressant pour débattre du couple et de ses relations, de la recherche de l'âme soeur. Il interroge aussi sur les modèles que la société peut imposer dans ces domaines, sur la volonté de faire entrer tout le monde dans des cases.