vendredi 28 octobre 2016

Moi, Daniel Blake : un plaidoyer pour plus d'humanité et de solidarité

Daniel Blake n'a pas l'habitude de se laisser marcher sur les pieds. Mais à 59 ans, il doit faire appel à l'aide sociale, après un problème cardiaque. Son médecin lui interdit de reprendre le travail mais l'administration lui signifie qu'il n'a pas droit à l'indemnité pour invalidité et qu'il doit donc rechercher un emploi sous peine de sanction. Au cours d'un de ses rendez-vous au "Job Center", il croise la route de Katie, jeune mère célibataire de deux enfants, en situation précaire. Il va se nouer d'amitié avec elle et l'aider, elle et ses enfants.

Je ne connais pas vraiment l'appareil administratif britannique, je suis donc incapable de juger du degré de réalisme du film. Mais ça fait froid dans le dos... Dès l'ouverture du film, le ton est donné : on entend une conversation entre Daniel Blake et une femme qui débite ses questions, la plupart aberrantes, en ne demandant qu'à cocher la case oui ou non, sans possibilité de discuter. La suite est à l'avenant, avec ce pauvre homme ballotté de démarches administratives en démarches administratives, contraint à des temps d'attente interminables au téléphone, ou perdu devant un ordinateur, qu'il n'a jamais touché de sa vie, alors que toutes les démarches doivent être faites par Internet... Seule une employée prend vraiment soin de lui... mais est réprimandée par son chef pour son comportement inacceptable !

Face à cette administration inhumaine et humiliante, la solidarité et la débrouille doivent s'organiser tant bien que mal, malheureusement pas toujours avec des gens bien intentionnés. De belles rencontres sont toutefois possibles, comme celle qui voit naître la solidarité improbable entre Daniel et Katie. Une lueur d'espoir dans un monde froid et inhumain.

Comme à son habitude, Ken Loach nous propose un film engagé dont le message transparaît avec force dans son discours, au moment de la remise de sa Palme d'or à Cannes (vidéo ici) : "il faut dire qu'un autre monde est possible et même nécessaire".

Moi Daniel Blake est un plaidoyer, sobre mais fort, pour plus d'humanité et de solidarité. Et nous en avons bien besoin aujourd'hui !

lundi 24 octobre 2016

Mal de pierres : un très beau drame troublant

Gabrielle rêve d'une passion amoureuse totale. Mais son attitude choque, sa mère la croit folle... Finalement, ses parents la donnent en mariage à José, un ouvrier agricole saisonnier. Gabrielle accepte sous la menace, par sa mère, d'être internée. Elle se résout à ce mariage forcé... Mais lorsqu'elle est envoyée en cure thermale pour soigner ses calculs rénaux (son mal de pierres), elle rencontre un lieutenant blessé qui fait renaître en elle son rêve de passion amoureuse.

Mal de pierres est un très beau drame, troublant, sur l'amour, la passion. Troublant par son personnage principal, aux frontières de la folie, habité par un rêve passionnel et marqué par de profondes blessures issues de son éducation. Troublant aussi grâce au scénario habile, qui réserve une surprise de taille dans la dernière partie du film (qui bouleverse la compréhension du début) et propose une fin magnifique. Je n'en dirai pas plus pour ne pas vous gâcher la surprise... Mais le film permet de parler d'amour et de passion, de mariage, de rêve et de réalité...

Nicole Garcia filme cette histoire avec intensité, sensibilité et sensualité. Les acteurs sont remarquables, à commencer par Marion Cotillard qui porte le film. Elle incarne, elle habite, le personnage de Gabrielle avec une force incroyable, restituant sa complexité, à la fois fragile, sensuelle, perdue, passionnée. Alex Brendemühl, dans le rôle de José, est aussi très touchant dans le rôle de ce personnage secret, mystérieux, et finalement bien plus profond qu'il n'y paraît au premier abord.

Au final, Mal de pierres est un film envoûtant, qui continue de vous hanter après son générique de fin, par son histoire et ses rebondissements, l'interprétation troublante de Marion Cotillard, sa fin magnifique...

lundi 17 octobre 2016

L'odyssée : joli biopic contrasté d'un explorateur médiatique

L'odyssée est un biopic sur le commandant Jacques-Yves Cousteau, célèbre pour  ses films sous-marins et son combat pour la préservation de l'environnement. En quelques étapes clé, le film évoque le parcours de l'homme public. D'abord, c'est l'explorateur médiatique, habile dans son utilisation de la caméra, au cinéma puis à la télévision, où il aimait se mettre en scène. D'ailleurs, le film montre bien qu'au début, il n'y avait aucune motivation écologique : son premier financement était par le biais d'une compagnie pétrolière qu'il aidait à préparer l'exploitation de plateformes offshore. Un tournant écologique a  toutefois lieu avec son exploration de l'Antarctique, grâce notamment à son fils Philippe, où il découvre les carnages de la chasse intensive à la baleine. A partir de ce moment, il se consacrera à la préservation de la planète.

Mais le film s'intéresse surtout au versant intime de Cousteau. L'intrigue est centrée sur la relation avec son fils Philippe. Une relation ambivalente de fascination et de répulsion. Et puis il y a Simone, l'épouse de Cousteau, au caractère bien trempé, seule femme à bord de la Calypso, le mythique bateau de Cousteau... et qui doit faire face aux nombreuses aventures extra-conjugales de son mari. Elle est magnifiquement interprétée par Audrey Tautou.

L'odyssée est vraiment un bon film, avec des images sous-marines magnifiques (notamment la plongée stressante au milieu des requins, ou le face-à-face quasi-chorégraphique entre Philippe Cousteau et une baleine). On en aurait bien voulu d'ailleurs un peu plus... et ça aurait donné encore un peu plus de souffle au film ! L'évocation du côté intime de Cousteau est aussi très intéressante, écornant, certes, un peu l'icone. Enfin, il faut mentionner, une fois de plus, une bande originale très réussie d'Alexandre Desplat.

lundi 10 octobre 2016

Une vie entre deux océans : un beau mélo, lyrique et ample

Au lendemain de la première guerre mondiale, Tom Sherbourne, encore marqué par ses années sur le front, devient le gardien du phare de l'île de Janus. Il y vit isolé du monde avec son épouse Isabel. Leur bonheur se ternit alors que le couple comprend qu'il n'arrive pas à avoir d'enfant. Jusqu'à ce qu'un canot s'échoue sur l'île avec à son bord un homme mort et un bébé bien vivant. Sur l'insistance d'Isabel, le couple décide de garder l'enfant et le déclarer comme étant le leur. Mais quelques temps plus tard, Tom rencontre dans un cimetière une femme sur la tombe de son mari disparu en mer avec leur petite fille...

Une vie entre deux océans est un mélo très réussi, qui ne manque pas de souffle, dramatique et romantique. L'histoire, bien-sûr, nous tire les larmes mais elle est traitée sans excès de pathos. Le drame est là, déchirant. La magnifique musique d'Alexandre Desplat, lyrique à souhait, accompagne magistralement l'ensemble. Le trio d'acteurs (Michael Fassbender, Alicia Vikander et Rachel Weisz) est remarquable. La réalisation de Derek Cianfrance est parfaitement maîtrisée. Les images sont superbes (l'océan, l'île balayée par le vent...).

Le film permet d'évoquer plusieurs thématiques. C'est d'abord, bien-sûr, une belle histoire d'amour, mise en péril par un désir d'enfant contrarié. C'est aussi une réflexion sur la maternité et la paternité, sur les liens biologiques et les liens éducatifs. C'est enfin un film sur les douleurs tenaces et destructrices de la rancune, le poids de la culpabilité, la puissance du pardon.

Une vie entre deux océans est un beau film, classique dans le bon sens du terme, un mélo très réussi, lyrique et ample.

lundi 3 octobre 2016

Brooklyn Village : une chronique sensible et sobre de l'adolescence

Après le décès de son père, Brian emménage avec sa femme Kathy et leur fils Jake dans la maison qu'il hérite à Brooklyn. Le rez-de-chaussée de la maison est occupé par la boutique de Leonor, une couturière latino-américaine qui avait noué des relations d'amitié fortes avec le père de Brian. Jake se lie tout de suite d'amitié avec Tony, le fils de Leonor. Les relations sont très cordiales entre ses parents et Leonor. Les choses vont se compliquer lorsque Brian tente de discuter du loyer avec Leonor, un loyer que son père n'avait jamais réévalué...

Le titre original, Little Men (mais pourquoi ne l'a-t-on pas conservé ???) exprime bien mieux le sujet du film. Il s'agit en effet d'une chronique sur l'adolescence, Jake et Tony étant au centre du récit. L'histoire est toute simple, traitée avec beaucoup de sobriété et de finesse. Il n'y a pas des bons et des méchants. Juste des gens normaux qui essayent de faire de leur mieux, en tenant compte de leurs impératifs du quotidien. Et deux adolescents, au milieu de tout cela, qui subissent les dommages collatéraux des problèmes d'adultes.

La question des difficultés de communication entre parents et enfants adolescents est au coeur du film. Ainsi, tenus à l'écart des problèmes rencontrés par leurs parents, les deux adolescents ne comprennent pas le changement d'attitude de leurs parents respectifs et décident de ne plus leur parler du tout. Cela conduit à un scène formidable, dans la voiture, au retour de la première représentation de la nouvelle pièce dans laquelle joue Brian, où ce dernier explose et ce qu'il dit traduit toute la difficulté de la communication. Il y a aussi la scène bouleversante où Jake apprend ce qui se passe entre ses parents et Leonor et se met à parler et dire tout ce qu'il n'a pas pu dire pendant le temps de son silence, en essayant de trouver une solution. Enfin, il y a la dernière scène, avant l'épilogue, où Brian et Jake renouent vraiment le contact. Le dernier plan de cette scène, plein de pudeur, est magnifique.

Avec Brooklyn Village, nous avons ce qui se fait de mieux dans la cinéma américain indépendant, dans sa veine intimiste. Une façon toute simple de parler du quotidien, ancrée dans notre monde contemporain. Réaliste sur les difficultés à vivre dans notre monde aujourd'hui, avec une pointe de nostalgie, le film porte aussi un message d'espoir, à travers l'amitié de ses deux héros adolescents. Vraiment un très joli film !