lundi 26 janvier 2015

Foxcatcher : Un drame poignant et inquiétant

Inspiré d'une histoire vraie, le film évoque le destin de deux frères, Dave et Mark Schultz, tous deux champion olympique de lutte. A quelques mois des championnats du monde, Mark est contacté par le richissime John du Pont qui lui propose de rejoindre son équipe dans la perspective des jeux olympiques de Séoul, l'année suivante. Il fera tout pour s'adjoindre aussi les service de Dave, son frère. Se présentant comme un mentor et même un père de substitution, John du Pont ne tardera pas à avoir une influence néfaste sur le fragile Mark.

La réalisation de Bennett Miller est admirable, d'une grande finesse, jouant les contrastes entre de très gros plans et des plans larges, exploitant remarquablement la lumière et proposant parfois de sublimes plans dans la pénombre. Il y a une tension, palpable dès les premières images. Et puis un engrenage qui s'enclenche dès la rencontre avec John du Pont. Même sans connaître le fait divers à l'origine du film, on sent très vite que ça va mal finir. Et pourtant quand le drame surgit, à la fin du film, quel choc !

Le film est porté par un formidable trio d'acteurs. Channing Tatum dans le rôle de Mark Schultz est impressionnant, tout en muscles... mais aussi tellement fragile. Incapable de se prendre en main, s'il se détache de son grand frère c'est pour tomber dans le filet d'un père de substitution toxique en la personne de du Pont. Mark Ruffalo, dans le rôle du grand frère Dave Schultz, est méconnaissable. Il incarne de façon très touchante ce bon père de famille et grand frère protecteur. Quant à Steve Carrell, il est tout bonnement incroyable dans le rôle de John du Pont, personnage à la fois pathétique et terrifiant, richissime héritier d'une grande famille, qui croit que tout peut s'acheter. Ses discours patriotiques, sa façon de vouloir prouver à sa mère, qui l'écrase, qu'il peut réussir, sa volonté, coûte que coûte, quitte à tricher et manipuler la réalité, d'apparaître comme un leader, un mentor, un gagnant. Voilà autant de traits d'une caricature grinçante du rêve américain.

Foxcatcher est un grand film, un drame poignant et inquiétant, filmé avec beaucoup de finesse et remarquablement interprété. Un film dont le choc des dernières images reste gravé longtemps après la fin du générique.

samedi 24 janvier 2015

Jeux... et Dieu !

Peu de temps après l'attaque terroriste contre Charlie Hebdo, Bruno Faidutti, célèbre auteur de jeux de société, avait écrit un billet, un peu hargneux, sur son blog, intitulé "Jeux et Dieux". Il s'y évertue à démontrer que jeux de société et religions ne font pas bon ménage. Relancé sur Facebook par un ami joueur, curieux de connaître mon avis, je me suis pris au jeu d'écrire une petite réponse, en toute fraternité ludique ! Car, ne serait-ce que parce qu'il a créé Citadelles, je suis prêt à pardonner beaucoup à Bruno Faidutti ! 

D'après lui, "peu de joueurs sont religieux". Je ne sais pas d'où il tire cette affirmation péremptoire mais personnellement, j'assume pleinement ma ludophilie et ma foi ! Et je le vis très bien ! "Religieux", je le suis, puisque je suis pasteur. Joueur, je le suis aussi... et je peux appeler beaucoup de témoins à la barre ! 

En réalité, les religions, je m'en méfie aussi. Parce qu'elles sont humaines, et donc imparfaites. Du coup, elles sont criticables. Il est sain qu'elles le soient et c'est suspect quand elles-mêmes ne le tolèrent pas ! Mais je ne les hais pas... Je les respecte, et j'accueille avec intérêt ce qu'elles proposent comme vision du monde, de l'humain, de Dieu. Même si je ne suis pas forcément d'accord !

Il est d'ailleurs dommage que Bruno Faidutti, comme tant d'autres, confonde religion et foi. Et quel dommage d'avoir de la foi l'image d'une démarche qui enferme dans un système clos, dans une vision du monde sclérosée. Je ne dis pas que certains croyants ne tombent pas dans cet écueil. Mais est-il honnête de généraliser ? Ma conception et mon expérience de la foi sont radicalement différentes. La foi m'ouvre sur Dieu et sur les autres, elle m'invite à l'écoute, à l'accueil, au respect, à la fraternité. Et c'est aussi, un peu, ce que je recherche dans un jeu de société : ce lien aux autres, cette convivialité. Finalement, je vois plus de lien entre ma foi et ma passion pour les jeux qu'une opposition !

Il est dommage aussi de se contenter d'une perception étriquée de Dieu. Un Dieu qui ne se concevrait que dans un cadre bien établi et stricte, à l'image d'un plateau de jeu bien délimité, où tout est simple et cadré par des règles claires. Ca me fait du reste un peu sourire, de la part d'un auteur qui est bien connu pour la dose de chaos qu'il instille souvent dans ses jeux... et qui peut d'ailleurs en faire toute la saveur !

"Celui qui croit en Dieu n’a pas besoin de jouer", dit Bruno Faidutti. Mais faut-il avoir "besoin" de jouer ? Il y a, c'est évident, des vertus pédagogiques, psychologiques, sociales, au jeu. Mais pourquoi vouloir y surinvestir une portée métaphysique ? Moi aussi je sais que la vie n'est pas un jeu... Moi aussi je sais que le monde est complexe. Mais ne tombons pas pour autant dans une vision simpliste de Dieu pour le dénigrer !

Un Dieu que je pourrais enfermer dans une religion ou un dogme ne m'intéresse pas. Un tel Dieu... n'est pas Dieu ! Dans mon expérience de foi, Dieu n'est pas un concept. C'est quelqu'un, qui sera toujours plus que je pourrai jamais dire ou penser, mais qui m'est aussi toujours plus proche que je pourrai jamais imaginer. En fait, je me retrouve bien dans ces paroles d'un certain Paul de Tarse, apôtre de son état, qui disait : "Dieu, qui a fait le monde et tout ce qui s'y trouve, est le Seigneur du ciel et de la terre, et il n'habite pas dans des temples construits par les hommes. Il n'a pas besoin non plus que les humains s'occupent de lui fournir quoi que ce soit, car c'est lui qui donne à tous la vie, le souffle et tout le reste. [...] En réalité, Dieu n'est pas loin de chacun de nous, car : “C'est par lui que nous vivons, que nous bougeons et que nous sommes.” (La Bible, Actes des apôtres, chapitre 17, versets 24-28)

Je ne vois pas du tout en quoi ma foi en ce Dieu-là pourrait me détourner de ma passion pour les jeux de société... 

Bruno Faidutti termine son billet avec ironie : "Quand je crée un jeu, je fais comme si j’étais Dieu – et franchement, je trouve que je me démerde plutôt mieux que lui." Allez... ça dépend des jeux, Bruno !

lundi 19 janvier 2015

Les Souvenirs : un magnifique film, tendre et drôle

Les souvenirs est un magnifique film, tendre et drôle. Un film qui parle de la famille, de l'amour, de la vie.

L'histoire est principalement bâtie sur la relation pleine de complicité entre un petit-fils, Romain, et sa grand-mère (formidablement incarnée par Annie Cordy). C'est lui qui partira à sa recherche lorsqu'elle s'enfuit de la maison de retraite où ses enfants se sont sentis obligés de la mettre. Le thème de la famille est central dans le film, évoquant les relations parents-enfants, à plusieurs niveaux, mais aussi par exemple la souffrance de ce père séparé de son fils, parti vivre avec sa mère en Australie.

C'est aussi un film sur l'amour. La recherche de l'amour de sa vie pour Romain (et pour son colocataire Karim, joué par William Lebghil, très drôle). Mais aussi, plus subtil, l'usure du couple chez les parents de Romains (avec un Michel Blanc très touchant), et la façon de raviver l'amour lorsque les événements de la vie, ou simplement la routine, éteignent le feu petit à petit.

Le film évoque enfin les grandes étapes de la vie, et les questionnements qui leur sont liés : le moment des grands choix qui orientent la vie, le départ à la retraite, l'approche de la mort...

Jean-Paul Rouve filme cette histoire avec beaucoup de tendresse et d'émotion. Son film est plein de sensibilité mais sans pathos. Mais il est drôle aussi, sans une ombre de vulgarité. Certaines répliques font mouche, quelques situations cocasses sont réjouissantes (le peintre !).

Après la famille Bélier, un peu dans la même veine et que j'avais apprécié, espérons que Les souvenirs aura un aussi grand succès. Il serait pleinement mérité. Je le préfère d'ailleurs à son prédécesseur. Je le trouve plus subtil, plus maîtrisé. Voilà est un film qui fait du bien, tout en abordant des questions essentielles !

lundi 12 janvier 2015

L'affaire SK1 : Traquer le monstre et traquer l'homme derrière le monstre.

Le film relate les longues années de la traque de Guy George, le tueur de l'est parisien, grâce à l'obstination de Frank Magne, jeune inspecteur tout juste entré au 36 quai des Orfèvres. Parce qu'il relate des faits réels, le film n'en que plus glaçant. Car les crimes commis par Guy George étaient terrifiants. Le réalisateur, Frédéric Tellier, arrive à évoquer l'horreur des crimes tout en gardant la distance nécessaire, un certain réalisme mais sans voyeurisme. Certes, il y a des images très dures des corps mutilés des victimes mais aucune reconstitution des crimes eux-mêmes. Ca n'en rend que plus fort l'extraordinaire moment des aveux de Guy Georges dans le bureau de l'inspecteur.

L'affaire SK1 est un film passionnant et fort, qui nous fait plonger dans la vie des équipes de la brigade criminelle. Leur quotidien, leur esprit d'équipe, leur vie complètement bouffée par les affaires qu'ils traitent, l'impossible équilibre avec la vie de famille. La traque est vécue de l'intérieur, avec à la fois les frustrations et la détresse des enquêteurs mais aussi leur obstination. Le film touche aussi à la question du rôle des avocats, notamment quand ils défendent un criminel. Une scène très intéressante, vers la fin du film, met face-à-face l'inspecteur Magne et maître Pons, avocate de Guy George. Le flic dit : "J'ai traqué le monstre depuis sept ans" et l'avocate répond : "Et moi je traque l'homme derrière le monstre." Une réplique qui fait mouche et résume bien le propos du film. Comment un homme peut-il devenir un tel monstre ?

J'ai beaucoup apprécié la réalisation de Frédéric Tellier : à la fois sobre et haletante, très proche des différents protagonistes. Plusieurs scènes sont extrêmement fortes. En plus des aveux et du face-à-face entre l'inspecteur et l'avocate, déjà mentionnées, je pense au moment de l'arrestation de Guy George filmée de façon haletante et son arrivée au 36 quai des Orfèvres, très impressionnante. Ou la fin du procès, quand l'accusé avoue finalement ses crimes devant les familles des victimes. Les acteurs sont excellents. Raphaël Personnaz est ici remarquable. Adama Niane, qui a la lourde tâche d'incarner Guy George est vraiment très bon. Le reste du casting est à la hauteur, avec une mention spéciale à Nathalie Baye et Michel Vuillermoz.

Enfin, il faut avouer que l'actualité donne un relief particulier au film, avec son évocation d'une folie meurtrière, ou de l'attentat dans le RER en 1995, au milieu de l'enquête.

Au final, l'affaire SK1 est un film passionnant et fort, un polar réaliste basé sur des faits réels terribles, qui arrive à éviter le piège du voyeurisme tout en nous faisant réfléchir. Très bien réalisé et très bien interpréter. Ne le manquez pas !

lundi 5 janvier 2015

A Most Violent Year : Impitoyable et inexorable. Un film passionnant.

New-York, 1981. L'année la plus violente qu'ait connu la ville. Abel Morales (Oscar Isaac) est un immigré latino qui a fait son trou dans le business du pétrole. Lui qui a toujours voulu être intègre se heurte à la corruption et la violence qui menacent de détruire tout ce qu'il a mis 20 ans à construire avec sa femme Anna (Jessica Chastain). Comment réagir alors que ses chauffeurs sont agressés, ses camions volés et sa famille menacée ?

A Most Violent Year est un film impitoyable sur le monde des affaires où tous les coups sont permis. Impitoyable aussi pour le rêve américain qui en ressort sérieusement écorché. Le thème de la violence, au coeur du film, entre d'ailleurs vraiment en écho avec les événements récents aux USA.

Le réalisateur, J.C. Chandor, nous offre un film au rythme inexorable, comme une machine à broyer le rêve d'un homme, qui avance sans qu'on puisse l'arrêter. Anna serait prête à répondre aux menaces avec la manière forte, au besoin en demandant l'aide de son père, criminel notoire. Mais Abel se refuse à tout usage de la violence et veut rester intègre. Qui a raison ? La majeure partie du film est dans une tension sourde, accentuée par une photo qui joue sur des lumières crépusculaires, souvent baignées de brouillard. Et parfois la violence surgit, soudaine. Le stress monte, comme dans la poursuite haletante d'Abel derrière un de ses camions volés. Les dernières scènes du film sont formidables et laissent un goût amer tenace.

Le film est porté par un couple extraordinaire : Oscar Isaac et Jessica Chastain, deux grands acteurs. Mais ici, pas d'esbroufe, pas de jeu tape à l'oeil. Au contraire, des compositions tout en retenue, desquelles il ressort une authenticité rare.

Le film pose la question de la violence et la façon de s'y opposer, ou plutôt de s'en protéger. Doit-on répondre à la violence par la violence ? Ou peut-on y opposer l'intégrité, la persévérance ? Le film pose aussi la question de l'honnêteté. Est-il possible de réussir dans les affaires, ou ailleurs, en restant intègre et droit ? Le film apporte quelques réponses à ces questions, mais tout en nuance. Pas de discours moralisateur, pas de réponse simpliste, juste des pistes de réflexion, pour des questions qui restent parfois ouvertes.

Impitoyable et inexorable. Passionnant pour les questions qu'il pose. Magistralement interprété. A Most Violent Year est un excellent film à ne pas rater en ce début d'année.

vendredi 2 janvier 2015

KerouVim d'or 2014 : Abyss !

Voici donc l'annonce officielle de l'attribution du KerouVim d'or 2014, ma distinction suprême à moi, en matière de jeux de société ! Cette année, le prix va, à l'unanimité du jury (moi-même) à Abyss de Bruno Cathala et Charles Chevallier, édité par Bombyx.

L'éditeur a mis le paquet sur le packaging, avec de superbes illustrations de Xavier Collette (et le choix entre 5 illustrations de boîtes différentes !). Mais Abyss est aussi bon que beau, avec des mécanismes simples, qui n'ont certes rien de révolutionnaire mais qui sont bien équilibrés : développement, collecte, combinaisons de cartes avec un zeste de "stop ou encore", le tout avec une belle interaction entre les joueurs. Ce n'est pas un gros jeu, plutôt un "poids moyen", qui le destine à tous les types de joueurs. C'est mon coup de coeur de l'année.

Pour compléter le palmarès, j'ajouterai trois mentions spéciales à :
- Istanbul, de Rüdiger Dorn, édité en France par Matagot. Le jeu a remporté le Kennerspiel des Jahres en 2014 (prix allemand du jeu de l'année, dans la catégorie "pour connaisseurs"). Je l'ai découvert un peu tardivement en 2014 mais j'ai tout de suite aimé ses mécanismes et sa fluidité.
- Five Tribes, de Bruno Cathala, édité par Days of Wonder. C'est décidément l'année Cathala pour moi... Five Tribes utilise le mécanisme des semailles (emprunté à l'awalé) pour un jeu tactique et opportuniste avec un superbe matériel.
- Minivilles, de Masao Suganuma, édité par Moonster Games. Un jeu léger et vraiment très agréable, avec un matériel coloré. La première extension est indispensable. La deuxième va sortir dans quelques semaines.

Pas de gros jeu dans mon palmarès... J'en ai bien aimé plusieurs (Concordia, Caverna ou Dominant Species par exemple) mais aucun ne m'a procuré autant de plaisir ludique que les jeux sus-nommés. Et en matière de jeux de société, c'est le plaisir qui prime !

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En bonus, le sticker "KerouVim d'or 2014" à coller sur votre boîte d'Abyss ;)