jeudi 26 mai 2016

Men and Chicken : un conte corrosif et complètement barré

À la mort de leur père, Elias et Gabriel découvrent que ce n'était pas leur père biologique. Ce dernier est en fait un mystérieux généticien qui travaille dans le plus grand secret sur une île mystérieuse. Ils décident de partir à sa rencontre... et découvriront sur l'île trois frères étranges, et des mystères inquiétants.

Men and chicken, c'est un peu l'île du Dr Moreau chez les fous ! Où l'on rencontre des frères bêtes et méchants qui se battent à coup d'oiseaux empaillés, surtout quand l'un d'entre eux ose couper la parole aux autres, mais qui, le soir, écoutent dans leur lit la lecture d'une histoire, interprétée d'une manière psycho-philosophique par l'un d'entre eux (qui par ailleurs ne pense qu'à manger du fromage). Des personnages étonnants, donc, à commencer par celui joué par un Mads Mikkelsen méconnaissable, une brute barjot et obsédée.

Mais le film s'ouvre et se ferme, avec une voix off enfantine, à la manière d'un conte. Et il y a bien une morale à cette fable grinçante et barrée. Car elle parle de la vie, de la nature humaine, de la famille, de la valeur de chaque être. Mais elle le fait avec une bonne dose d'humour noir, très corrosif. C'est drôle, surréaliste, dérangeant, même effrayant parfois. En tout cas, c'est un mélange des genres tout à fait étonnant, pour un véritable OVNI à ne pas manquer, si on aime un cinéma original et surprenant, apparemment bien dans l'esprit des précédents film du réalisateur danois, Anders Thomas Jensen, que je ne connaissais pas... mais que j'ai envie de découvrir.

A noter aussi, la très belle bande originale, signée Frans Bak et Jeppe Kaas, tout à fait dans l'esprit du film.


lundi 23 mai 2016

Julieta : un chef d'oeuvre intime et bouleversant

Julieta s'apprête à quitter Madrid avec son compagnon Lorenzo lorsqu'elle rencontre par hasard Bea, l'amie d'enfance de sa fille Antia. Julieta n'a pas vu sa fille depuis des années. Sa volonté de renouer contact avec sa fille refait alors surface, elle renonce à quitter Madrid et décide d'écrire, pour sa fille, tout ce qu'elle a gardé secret jusque là.

Julieta, c'est un portrait de femme absolument bouleversant mais filmé par Almodovar avec une grande sobriété. Cela permet au film d'éviter tout pathos tout en gardant une force et une profondeur exceptionnelles. Car c'est un film qui parle d'amour, de destin, de fidélité, d'éducation, de transmission, de secrets, mais surtout du poids de la culpabilité.

Sans dévoiler trop l'histoire, disons simplement que Julieta accumule un poids de culpabilité suite à différentes circonstances où elle a fait des choix, qui pouvaient sembler anodins, mais qui ont eu parfois des conséquences lourdes. Quelle est sa part de responsabilité ? Comment gérer son sentiment de culpabilité ? Et puis il y a ces secrets que l'on préfère garder pour ne pas blesser ceux qu'on aime. La culpabilité cachée qui leur est liée, ne finit-elle pas par se transmettre, d'une façon ou d'une autre ? Le film ne propose pas de réponse toute faite mais pose les questions de façon pertinente, sans discours moralisateur. Si l'histoire est sombre et triste, non sans échos avec une tragédie grecque, il y a bien aussi dans le film des moments lumineux et une possibilité de rédemption qui peut se dessiner, lorsque les secrets sont levés.

Le casting, principalement féminin, est excellent. Le duo Adriana Ugarte (Julieta jeune) et Emma Suarez (Julieta plus âgée) est formidable. La façon dont on passe dans le film, à un moment du récit, de l'une à l'autre est d'ailleurs particulièrement réussi. La réalisation d'Almodovar est superbe.

Julieta est un chef d'oeuvre intime, bouleversant, profond. Malheureusement oublié dans le palmarès du festival de Cannes 2016...

lundi 16 mai 2016

Ma Loute : un film complètement barré, à la fois burlesque, surréaliste et gore

Eté 1910, dans le Nord de la France. De mystérieuses disparitions se produisent dans la baie et la police mène l'enquête, alors que de riches bourgeois lillois passent l'été comme chaque année dans leur maison familiale.

Ma Loute est un film complètement barré ! Bien plus encore que la bande-annonce le laisse imaginer. C'est d'abord un film burlesque, avec des personnages caricaturaux et jubilatoires, qui sont bêtes et maladroits, qui se cassent tout le temps la figure, qui s'expriment avec emphase. Cette galerie de personnages hauts en couleur est parfaitement incarnée par des comédiens dont plusieurs sont des amateurs (l'inénarrable inspecteur Machin !). Quant aux acteurs professionnels, ils sont en roue libre pour notre plus grand plaisir. Valéria Bruni-Tedeschi et Fabrice Luchini sont excellents et drôles, mais la palme revient à Juliette Binoche, absolument géniale et hilarante.

Pourtant, l'histoire est terrible, entre disparitions (on en comprend la cause assez vite dans le film... et ça fait froid dans le dos), lourds secrets de famille, amours impossibles, problèmes d'identité... Mais comme tout est traité sous l'angle du burlesque et du surréalisme (en particulier la fin du film, qui atteint un sommet de surréalisme, à la fois poétique et déjanté), ça passe. Même s'il reste bien quand même un arrière-goût amer : le film est aussi cruel, et dérangeant. Il dresse finalement un portrait assez sombre de la nature humaine... Ce n'est certainement pas une comédie familiale !

Mais quelle belle réalisation de Bruno Dumont. Les images de bord de mer, dans une lumière magnifique, sont sublimes. Certains gros plans sur les visages, plein cadre, sont aussi d'une grande beauté.

Ma Loute, c'est une OVNI cinématographique, qui nous emmène hors des sentiers battus, dont le scénario réserve bien des surprises et qui provoque de nombreux éclats de rire (pour peu que vous appréciez le comique burlesque) grâce à des acteurs volontairement outranciers. Un film étonnant et singulier. A voir, si vous êtes prêts à vous laisser surprendre !

samedi 14 mai 2016

Café Society : du très très bon Woody Allen, pétillant, mélancolique et lumineux

Dans les années 30, à New-York, Bobby Dorfman étouffe avec ses parents qui ne sont jamais d'accord. Il décide d'aller tenter sa chance à Hollywood ou son oncle Phil est un agent de stars influent. Il lui trouve un petit boulot auprès de lui. Bobby ne tarde pas à tomber amoureux de Vonnie, une jeune femme qui, malheureusement, n'est pas libre. Il doit se contenter de son amitié, jusqu'au jour où elle débarque chez lui en pleurs, elle vient de rompre avec son petit ami.

Café Society, c'est vraiment du très très bon Woody Allen. J'avais pourtant été plutôt déçu par ses derniers films (à part Magic in the Moonlight) mais là, c'est un vrai bonheur.

Le film est léger et pétillant comme du champagne. Avec, bien-sûr, des personnages hauts en couleur qui gravitent autour du personnage principal : ses parents qui s'engueulent tout le temps, son frère gangster qui frappe avant de réfléchir, sa soeur qui a épousé un intello communiste qui tient de grandes théories sans jamais rien faire...


Et il y a bien-sûr les dialogues savoureux, imprégnés de culture juive et de l'humour dont le grand Woody a le secret. Comme cette scène en prison, lorsque Ben, le frère de Bobby, apprend le christianisme avant de passer sur la chaise électrique, "parce que le Judaïsme ne propose pas de vie après la mort". Et en réponse, sa mère de dire que c'est dommage parce que s'il le faisait, ils auraient plus de clients !

Le casting est excellent. Il faut dire en particulier que le cinéma de Woody Allen va comme un gant à Jesse Eisenberg, véritable alter ego jeune du réalisateur de 80 ans. Il est formidable dans le film, les répliques de Woddy Allen sortant de sa bouche avec un naturel confondant. Quant à Kristen Steward, elle est tout simplement magnifique, et elle montre une nouvelle fois qu'elle est une excellente actrice, promise à un bel avenir.

Mais le film n'est pas que pétillant, il est aussi empreint d'une certaine mélancolie et baigné dans une lumière magnifique. Plus qu'une simple comédie sentimentale, le film dénonce aussi avec cynisme la superficialité de Hollywood comme celle de la bonne société new-yorkaise des années 30. Il évoque aussi la difficulté de se frayer un chemin dans la vie, entre la poursuite d'une carrière et la recherche du grand amour.

Tout cela est résumé avec brio dans le plan final où les visages de Bobby et Vonnie se mêlent alors qu'ils réveillonnent chacun de leur côté. La mélancolie et la lumière. Magnifique.

mardi 10 mai 2016

Via Nebula : le nec plus ultra du familial plus


Dans Via Nebula, les joueurs doivent peupler une vallée recouverte d'une étrange brume. Pour y arriver, il faudra, un peu, coopérer avec les autres... mais il n'y aura qu'un seul vainqueur.

A son tour de jeu, un joueur peut faire deux actions parmi six possibles : ouvrir un exploitation, commencer un chantier, explorer une zone de brume, explorer une forêt pétrifiée (compte pour deux actions), acheminer un matériau sur un de ses chantiers (pour autant qu'un chemin soit ouvert), construire un bâtiment (s'il a auparavant acheminé sur son chantier toutes les ressources nécessaires). Une fois qu'une exploitation est ouverte, tout le monde peut s'y servir. Une fois qu'un chemin est ouvert, tout le monde peut l'emprunter. Le jeu s'arrête lorsqu'un joueur a construit ses cinq bâtiments. On marque des points de victoire en fonction des bâtiments construits, des exploitations ouvertes et du nombre de zones explorées. Mais attention à ne pas gaspiller les ressources : les ressources en trop sur un chantier ou les ressources non utilisées sur une exploitation donnent des malus en fin de partie !


On retrouve la patte de Martin Wallace, son auteur, dans ce jeu de réseau semi-coopératif. Pour les connaisseurs, c'est un peu un Brass ou Steam simplifié, voire épuré. On ne peut pas gagner tout seul... mais il ne faut pas être trop généreux quand même, tout en profitant des autres ! La gestion des ressources est tendue, il faut optimiser les actions. Le jeu est très fluide, interactif et les parties sont courtes (de l'ordre d'une heure, même à quatre joueurs). La rejouabilité me semble bonne, d'autant qu'il y a un placement aléatoire des jetons ressources en début de partie et des cartes bâtiments différentes en fonction de la pioche. Bref, Via Nebula est un excellent jeu qui entre dans la catégorie "familial plus" : assez accessible mais suffisamment riche pour plaire aussi aux joueurs chevronnés (mais il ne faut alors pas utiliser le côté (trop) facile du plateau de jeu...).

Il faut aussi souligner, cerise sur le gâteau, l'excellent travail éditorial des Space Cowboys, avec un matériel magnifique : de jolies illustrations de Vincent Joubert et plein de meeples de toutes les formes (des bâtiments différents pour chaque joueur) et de toutes les couleurs. Et un plateau individuel très clair et fonctionnel.

Sans conteste, Via Nebula est mon coup de coeur ludique du moment !

----------
Via Nebula, un jeu de Martin Wallace, édité par Space Cowboys
Le jeu sur le site de l'éditeur

Les jolis meeples cochon !
Les bâtiments

samedi 7 mai 2016

La résurrection du Christ : une vision de l'Évangile sans véritable saveur

Clavius, un tribun militaire romain, est chargé par Ponce Pilate de résoudre le mystère entourant ce qui est arrivé à un Hébreu nommé Yeshoua après sa crucifixion. Son corps a disparu, les chefs religieux juifs disent que ses disciples ont enlevé le corps, les disciples de Yeshoua prétendent qu'il est revenu d'entre les morts. Pour empêcher le trouble publique, il faut mettre fin à toutes ces rumeurs.

Après un prologue pas très utile, l'action se concentre sur la crucifixion et la mise au tombeau de Jésus. C'est peut-être la meilleure partie du film, par son évocation du supplice, de façon assez réaliste mais sans le côté gore et doloriste de la Passion de Mel Gibson. La deuxième partie, celle de l'enquête pour retrouver le corps de Jésus est la moins intéressante. Elle manque de rythme et les témoins interrogés sont peu convaincants (Barthélémy !). La troisième partie, où le tribun suit les disciples en route vers la Galilée est inégale, la course-poursuite avec les légions romaines n'est pas vraiment convaincante, les jours passés avec Jésus en Galilée sont mieux réussis.

Au final, le film n'est pas mauvais... mais il n'est pas bon non plus. L'optique du scénario n'était pas une mauvaise idée : le spectateur peut se mettre ainsi à la place du tribun et s'intégrer dans le récit évangélique. Mais le scénario et la mise en scène nous donnent une vision de l'Evangile sans véritable saveur.

Il y a quand même quelques bons moments, je pense notamment aux apparitions de Jésus ressuscité à ses disciples, et en particulier la scène avec Thomas. Il y a quelque chose de simple et naturel que j'ai bien aimé. Mais le film utilise aussi quelques grosses ficelles hollywoodiennes pas très heureuses (par exemple le saint-suaire, deux fois dans le film, ou les effets sonores et visuels douteux pour la scène de l'Ascension...).

On le sait, filmer l'évangile n'est pas un exercice facile et il y a très peu de vraies réussites au cinéma. Les films les plus convaincants sont peut-être ceux qui proposent un regard très personnel (Pasolini, voire le récent Histoire de Judas de Ameur-Zaïmeche), quitte à s'éloigner de la simple adaptation presque littérale du texte biblique, ce qui est sans doute un peu l'écueil dans lequel tombe cette Résurrection du Christ. Le simple ajout d'un personnage, le tribun, ne suffit pas à donner au film un regard personnel convaincant.

Reste, bien-sûr, le message. Et l'invitation au spectateur, via le personnage principal du film, à se positionner face au récit de l’Évangile. Mais je suis convaincu que l'interpellation sera plus grande et plus pertinente, et même plus personnelle, à la lecture d'un évangile qu'au visionnage de ce film...  

lundi 2 mai 2016

Dalton Trumbo : passionnante plongée dans le maccarthysme à Hollywood

La guerre froide bat son plein. Scénariste reconnu, Dalton Trumbo est accusé, en plein maccarthysme, d'être communiste. Il se retrouvera emprisonné puis placé sur une liste noire aux côtés d'autres scénaristes hollywoodiens, désormais interdits de travailler dans l'industrie du cinéma. Il arrivera toutefois à contourner cet obstacle, avec le soutien de toute sa famille, en signant des scénarios sous différents pseudonymes, et récoltant même deux oscars. Mais cela ne va pas sans certains dégâts collatéraux...

La même période de l'histoire de Hollywood a été récemment abordée, avec brio, par les frères Coen dans leur cynique et jubilatoire Ave Cesar. Le ton ici est tout autre. Dalton Trumbo est un biopic plutôt classique, comme on sait si bien les faire à Hollywood, mais très bien réalisé, bien équilibré, avec une histoire forte et passionnante.

Il y a bien-sûr d'abord le personnage principal, un vrai personnage de film mais dont on ne cache pas d'ailleurs les paradoxes (il est à la fois défenseurs des idées communistes tout en menant une vie très aisée, il combat pour des idées et poursuit des ambitions personnelles...) ni les excès. Mais il y a aussi un beau portrait d'une famille, embarquée toute entière dans les turbulences traversées par le père, solidaire malgré tout, mais dont la cohésion est surtout maintenue par la mère.


Il y a enfin la plongée dans la terrible chasse au sorcières du maccarthysme, notamment dans le milieu du cinéma de cette époque, avec cette capacité qu'ont les Américains à regarder en face les zones d'ombre de leur propre histoire. Et finalement le film offre des échos actuels étonnants avec ce récit qui témoigne des dangers et des dégâts causés par des lois dictées par la peur...

Dalton Trumbo est donc un biopic passionnant, saupoudré d'humour et avec quelques scènes d'une grande émotion, notamment à la fin du film, lors du discours de Trumbo lorsqu'il reçoit un prix dans les années 70 et évoque la période du maccarthysme, ou lorsqu'il voit, enfin, son nom au générique d'un grand film, lors de la projection de Spartacus.

Bryan Cranston est parfait dans le rôle titre, Diane Lane très touchante dans le rôle de son épouse. Beaucoup de personnages gravitent autour de Trumbo et participent à la réussite du film, je pense notamment à une formidable Helen Mirren dans le rôle de la redoutable et influente Hedda Hopper, un John Goodman égal à lui-même en producteur de films pourris, la jeune Elle Fanning qu'on n'a pas fini de voir sur les écrans ou le toujours très bon Michael Stuhlbarg (je suis fan de cet acteur !). A noter enfin une très bonne bande originale de Theodore Shapiro, aux accents jazzy.

Pour son sujet passionnant, sa réalisation impeccable, ses performances d'acteur de grande qualité, il n'est pas impossible que Dalton Trumbo figure dans mon palmarès en fin d'année...