Le Noé d'Aronofsky n'a rien d'une interprétation fidèle du récit biblique du déluge. Il faut dire que si on se tenait strictement à ce qu'en dit la Bible, il n'y aurait pas suffisamment de matière pour un scénario de film ! Il faut forcément ajouter des personnages et des événements. Et Darren Aronofsky ne s'en prive pas... par exemple avec le personnage d'Ila, recueilli par Noé et élevée comme sa fille, ou avec tous les événements qui se déroulent dans l'arche pendant le déluge ! Il utilise bien quelques matériaux issus d'écrits apocryphes comme le livre d'Enoch (par exemple les Veilleurs, anges déchus descendus sur terre et ayant appris aux descendants de Caïn des sciences leur permettant de construire des armes...) mais il va beaucoup plus loin !
Dans la première partie du film, c'est un peu Noé en Terre du Milieu ! Avec ses géants, ses méchants très méchants, sa magie (le vieux Mathusalem faisant office de Gandalf biblique). Les paysages pré-diluviens sont en réalité post-apocalyptiques : un monde de désolation (on se croirait dans Mad Max) ! La terre est dévastée, surexploitée par les hommes. La vision d'Aronofsy est très sombre. Et d'une certaine façon, elle va s'assombrir encore dans la deuxième partie du film.
En effet, si au début Noé apparaît comme seul fidèle face aux descendants de Caïn sanguinaires et bestiaux, il révèle aussi par la suite une part d'ombre inquiétante, devenant un véritable fanatique froid et insensible. Du reste, Noé est alors vraiment « aronofskien » : un personnage tourmenté et sombre, avec un comportement autodestructeur, à l'image de personnages qu'on rencontrait dansRequiem for a Dream, The Wrestler ou Black Swan.
Et là, on est vraiment loin de la Bible... Mais, on l'a dit, il ne faut pas s'attendre à une adaptation fidèle du récit biblique. En réalité, le récit du déluge n'est que le point de départ sur lequel Aronofsky construit un film à la fois épique et tourmenté. Il se saisit de l'histoire pour en faire ressortir essentiellement un message humaniste et écolo. D'ailleurs, Dieu, appelé le Créateur, est pratiquement absent du film. Sinon lorsqu'il « parle » à Noé par des rêves (qu'il doit quand même s'efforcer d'interpréter) et, bien-sûr, en déclenchant le déluge ! Mais les hommes sont livrés à eux-même, contraints de faire des choix et de les assumer. Le moment où la pluie s'arrête soudain de tomber est d'ailleurs révélateur. Deux interprétations radicalement opposées s'affrontent : celle de Noé et celle d'Ila.
Au niveau de la réalisation, le film offre quelques très belles scènes. Je pense par exemple à la construction de l'arche, avec l'apparition miraculeuse d'arbres (je ne vous dis pas comment...), ou l'arrivée spectaculaire par vagues successives des animaux dans l'arche, ou enfin lorsque Noé, dans l'arche, raconte à sa famille l'histoire de la création du monde... Il réserve aussi bien-sûr quelques scènes spectaculaires (le déluge !). Bons acteurs dans l'ensemble, avec une mention spéciale pour Emma Watson.
Cerise sur la gâteau : écoutez la chanson du générique de fin, envoûtante. Elle est interprétée par Patti Smith, accompagnée par le Kronos Quartett. D'ailleurs, dans l'ensemble, la musique est, je trouve, assez réussie !
Librement inspiré du récit biblique, le Noé d'Aronofsky est finalement un film ambitieux, qu'il ne faut surtout pas juger pour sa fidélité ou non au texte biblique ! C'est une vision très personnelle, le regard d'un non-croyant sur un récit biblique majeur qu'il fait entrer en résonance avec des préoccupations modernes, et qui pose tout de même des questions intéressantes, sur la valeur de l'humanité ou sur la responsabilité écologique. Des thèmes qui, d'ailleurs, ne sont pas absents du texte biblique lui-même !
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